ACTA, le traité qui sent le souffre et le lobbyisme des USA

2/02/2012 à 00h14, Auteur : rédac-rss // internet-high tech-informatique

 38 pays, dont la France, ont signé cette semaine un traité international négocié dans le plus grand secret, qui doit lutter contre la contrefaçon au niveau mondial. Ce traité baptisé ACTA, extrêmement polémique, doit encore être ratifié par le Parlement européen.

Imaginez le principe de la grande coopération internationale qui a mené à la fermeture de Megaupload couché sur le papier. Cette opération qui pourrait faire croire qu’il existe une "loi du monde" contre le piratage, inspirée fortement par les Etats-Unis où sont basés les grands ayants-droit. On n’en est peut-être plus très loin, après la signature jeudi du traité international ACTA, entre autres par l’Union Européenne (dont la France) et les Etats-Unis. Un traité qui sent le souffre depuis le départ.

Négocié dans le plus grand secret par les exécutifs d’une quarantaine de pays, sans inclure les parlements ni la société civile dans les discussions, il continue de faire polémique. Au point que le rapporteur du texte au Parlement européen, l’eurodéputé socialiste français Kader Arif, a démissionné cette semaine de sa mission. En Pologne, cela fait plusieurs jours que des milliers d’internautes sont dans la rue pour protester contre ce traité. Aux Etats-Unis, maintenant que SOPA et PIPA sont enterrés, l’ACTA est le nouveau cheval de bataille des défenseurs des libertés sur internet. A ceci près : Obama ne soutenait pas SOPA ; il a signé ACTA.

Le piratage, dans le même sac que la contrefaçon

Le traité ACTA ne porte pas seulement sur la violation des droits d’auteur, mais plus largement sur la contrefaçon (Anti Counterfeiting Trade Agreement). A ce titre, il vise aussi bien à lutter contre la contrefaçon de marchandises (produits de luxe, jouets, médicaments...) que d’oeuvres culturelles (téléchargement illégal...). Mettre le piratage dans le même sac que le reste ne choque pas Bernard Lamon, avocat du cabinet Lamon & Associés, spécialiste du droit des nouvelles technologies, qui explique que le "piratage" est en fait une "contrefaçon du droit d’auteur". Il précise toutefois que "les intérêts en jeu ne sont pas les mêmes", la contrefaçon pouvant entraîner dans certains cas des risques pour le consommateur, alors que la lutte contre le piratage a uniquement pour but de protéger les intérêts des ayants-droit. Ce qui pose le problème de la proportion des sanctions à appliquer dans les différents cas.

Qu’est-ce qui fait peur dans ce texte ?

Le pire, c’est que ce n’est pas très clair, du fait de l’imprécision des textes et parce que les débats n’ont jamais été publics. Les principales craintes portent sur la responsabilité des intermédiaires techniques (hébergeurs, fournisseurs d’accès internet...) qui peuvent être considérés comme complices, sur la criminalisation des échanges de fichiers copyrightés (les procédures criminelles sont censées concerner les contrefaçons commises à l’échelle commerciale, mais celle-ci n’est pas clairement définie), et l’application de sanctions préventives sans faire appel à un juge.

"L’accord ACTA pose problème, qu’il s’agisse de son impact sur les libertés civiles, des responsabilités qu’il fait peser sur les fournisseurs d’accès à internet, des conséquences sur la fabrication de médicaments génériques ou du peu de protection qu’il offre à nos indications géographiques", déclare Kader Arif dans un communiqué, expliquant pourquoi il ne "participerait pas à cette mascarade".

"ACTA créerait de nouvelles sanctions pénales forçant les acteurs de l’Internet à surveiller et à censurer les communications en ligne. Cet accord est donc une menace majeure pour la liberté d’expression en ligne et est porteur d’insécurité juridique pour les entreprises de l’Internet. Au nom du droit des marques et des brevets, il pourrait également freiner l’accès aux médicaments génériques dans les pays pauvres" estime pour sa part la Quadrature du Net.

"Il représente une menace pour les internautes dont la liberté risque d’être supprimée en même temps que les principes fondamentaux de justice que sont la présomption d’innocence et la charge de la preuve", dénonce Eva Joly, qui "appelle les citoyens européens à faire barrage à ACTA".

 Qu’est-ce que changerait l’adoption d’ACTA ? 

D’après Bernard Lamon, pour les entreprises françaises, cela ne changerait rien, car les textes permettant de lutter contre la contrefaçon et même de bloquer des sites web existent déjà dans le droit français (Loppsi, Hadopi...). En outre, bien qu’un traité international ait le même statut qu’une directive, il n’a pas d’effet direct si le Parlement français ne modifie pas la loi. Autrement dit, "le législateur a totale liberté de dire ’zut’ à l’éxécutif", explique-t-il. 

Les craintes suscitées par ACTA viennent donc surtout du fait qu’on ne sait pas où veulent en venir les gouvernements des pays signataires. C’est la peur du complot. La bonne nouvelle, c’est qu’il sera toujours temps de le déjouer. A condition de ne pas céder aux pressions de toutes sortes.

Le texte, in fine entre les mains des parlements

Le Parlement européen devrait examiner le texte d’ici au mois de juin. Reste à savoir dans quelles conditions. "En tant que rapporteur sur ce texte, j’ai également fait face à des manoeuvres inédites de la droite de ce Parlement pour imposer un calendrier accéléré visant à faire passer l’accord au plus vite avant que l’opinion publique ne soit alertée, privant de fait le Parlement européen de son droit d’expression et des outils à sa disposition pour porter les revendications légitimes des citoyens", déplore Kader Arif, qui dénonce la "mise à l’écart des revendications du Parlement Européen pourtant exprimées dans plusieurs résolutions de notre assemblée".

 Le Premier ministre polonais Donald Tusk, qui fait face dans son pays à des manifestations de jeunes en lutte contre ACTA, a annoncé que s’il s’avérait être "un danger à la liberté", la Pologne pourrait ne pas ratifier le traité. 

Une pétition, comme celle qui a eu lieu pour stopper SOPA et PIPA (qui a plutot bien réussi), circule sur le net : Pétition

Bien entendu, les Anonymous ont eux aussi mis en garde les internautes sur ce que cette Loi pourrait avoir comme impact sur Internet :.

Kader Arif, le rapporteur de l’ACTA au Parlement Européen, a décidé de démissionner par surprise de sa mission cruciale pour la ratification de l’accord anti-contrefaçon. C’est bien la signature de l’accord par l’Union Européenne à Tokyo ce jeudi qui a motivé sa décision.

"Je tiens à dénoncer de la manière la plus vive l’ensemble du processus qui a conduit à la signature de cet accord : non association de la société civile, manque de transparence depuis le début des négociations, reports successifs de la signature du texte sans qu’aucune explication ne soit donnée, mise à l’écart des revendications du Parlement Européen pourtant exprimées dans plusieurs résolutions de notre assemblée", dénonce-t-il.

 L’eurodéputé confirme également ce que nous signalions au sujet du calendrier imposé au pas de charge aux commissions parlementaires chargées d’exprimer leur avis sur le contenu de l’accord. "En tant que rapporteur sur ce texte, j’ai également fait face à des manœuvres inédites de la droite de ce Parlement pour imposer un calendrier accéléré visant à faire passer l’accord au plus vite avant que l’opinion publique ne soit alertée, privant de fait le Parlement européen de son droit d’expression et des outils à sa disposition pour porter les revendications légitimes des citoyens".

 Pour Kader Arif, "chacun le sait, l’accord ACTA pose problème, qu’il s’agisse de son impact sur les libertés civiles, des responsabilités qu’il fait peser sur les fournisseurs d’accès à internet, des conséquences sur la fabrication de médicaments génériques ou du peu de protection qu’il offre à nos indications géographiques".

 "Cet accord peut avoir des conséquences majeures sur la vie de nos concitoyens, et pourtant tout est fait pour que le Parlement européen n’ait pas voix au chapitre. Ainsi aujourd’hui, en remettant ce rapport dont j’avais la charge, je souhaite envoyer un signal fort et alerter l’opinion publique sur cette situation inacceptable. Je ne participerai pas à cette mascarade". A l’heure actuelle, nul ne semble savoir qui va remplacer Kader Arif. Mais ses propos mettent d’emblée la pression sur son successeur, qui ne pourra agir dans l’ombre.

 Source : L’express

 

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