Et la mer dans tout ça

10/06/2020 à 19h28, Auteur : rédac-rss // Sorties-Loisirs-Culture

 Dans l’océan, des petits animaux se construisent de véritables palais composés de mucus. Grâce à l’imagerie laser, des scientifiques ont pu recréer numériquement l’architecture de ces structures et les visiter virtuellement.

Les océans menacés par l’activité humaine regorgent de créatures insolites comme ceux appartenant à l’ordre des Copelata. Ils sont aussi appelés larvacés car ils conservent à l’âge adulte leur apparence de larve (phénomène appelé néoténie), c’est-à-dire une « tête » prolongée d’une longue queue rigidifiée par la notochorde. Un peu comme un têtard.

 

Les palais de mucus

Si ces organismes intéressent les scientifiques, c’est pour leur capacité à produire un abri bien plus volumineux que leur corps (qui dépasse rarement les dix centimètres) grâce à du mucus. Il peut faire jusqu’à un mètre de diamètre, un véritable palais qui protège leur occupant des prédateurs et filtre leur nourriture.

Pour mieux comprendre les plans architecturaux de ces délicats palais de mucus, les scientifiques de l’aquarium de la baie de Monterey en Californie ont envoyé un robot sous-marin autonome équipé de caméras et d’un instrument laser, appelé DeepPIV, entre 200 et 400 mètres de profondeur où les larvacés vivent. Le but est de construire un modèle tridimensionnel du foyer des larvacés. Ce dernier est détaillé dans une publication parue dans Nature.

 

Un labyrinthe transparent

Les images laser prises par le submersible révèlent qu’à l’intérieur du ballon de mucus transparent se cache une structure interne plutôt complexe. Le foyer du larvacé se compose de deux chambres qui rappellent les ventricules du cœur.

 

La reconstitution 3D des images a permis aux scientifiques de faire une visite virtuelle du palais de mucus. À l’intérieur, les replis et circonvolutions complexes du mucus forment un labyrinthe qui canalise l’eau et les proies du propriétaire, dont la seule issue est sa bouche.

 

« Désormais nous possédons une technique pour comprendre la forme de ces structures complexes et comment elles fonctionnent », explique Kakani Katija, première autrice de l’étude publiée dans Nature, dans un communiqué de presse. « Personne n’a réalisé des reconstitutions 3D in situ du mucus. »

 

Selon Kakani Katija, les ingénieurs de la Nasa sont intéressés par la structure des maisons de mucus mais leur incroyable fragilité empêche, pour le moment, de les reproduire en laboratoire.

 

Les larvacés ne sont qu’un exemple de l’importante biodiversité qui vit sous la surface des océans. Aussi complexes que les maisons de mucus puissent être, ils en changent presque tous les jours et les sécrètent en une heure environ. Tous les restes de mucus terminent sur le fond des océans et servent de nourriture aux habitants des lieux. Ils font partie d’un écosystème fragile déstabilisé et menacé par l’activité humaine.

 

En 2016, près de la côte californienne, des biologistes marins sont tombés par hasard sur un organisme déjà vu il y a un siècle et revu depuis mais jamais avec certitude. Cette fois, ce larvacé, un lointain cousin des humains, a pu être saisi par un véhicule sous-marin et remonté à bord. Les scientifiques ont pu admirer de près l’extraordinaire filtre qui sert de filet de pêche à ce curieux animal planctonique.

 

Gélatineuse, elle ressemble de loin à une méduse mais ce n’en est pas une. Pas du tout. C’est un tunicier, qui abrite une chorde (dans la queue). Cette structure rigide dorsale en fait un chordé, c’est-à-dire un parent des vertébrés, donc de nous-mêmes. Elle est pélagique (elle se promène), comme ses cousines, les salpes et les dolioles, connues des plongeurs. Bathochordaeus charon n’est pas non plus une espèce inconnue : elle a été décrite pour la première fois en 1900 par Carl Chun dans les échantillons récoltés dans l’Atlantique sud par l’expédition Valdivia, entre 1898 et 1899. Son nom d’espèce, charon, lui a été donné en honneur de Charon, le dieu grec des enfers qui a aussi inspiré les astronomes pour baptiser le compagnon de Pluton. La créature, en effet, semblait venir des obscures profondeurs abyssales...

 

Elle n’a guère été revue depuis. C’est pourquoi Rob Sherlock, du MBari (Monterey Bay Aquarium Research Institute), qui s’exprime dans LiveScience, a été très heureux de découvrir ce curieux animal planctonique dans la lumière des projecteurs d’un ROV (Remotely Operated Vehicle), explorant la baie de Monterey, sur la côte californienne. Dans le Pacifique, donc.

 

Un larvacé, en l’occurrence Bathochordaeus charon. L’animal, minuscule et peu visible, se trouve au centre de la région blanchâtre, qui est la partie interne de sa logette. La partie externe est bien plus transparente et se repère grâce aux plus petits habitants du plancton qu’elle retient. Ce filtre est en train de se boucher et l’invertébré va devoir s’en extraire et reconstruire une autre logette. © MBari

Un larvacé, en l’occurrence Bathochordaeus charon. L’animal, minuscule et peu visible, se trouve au centre de la région blanchâtre, qui est la partie interne de sa logette. La partie externe est bien plus transparente et se repère grâce aux plus petits habitants du plancton qu’elle retient. Ce filtre est en train de se boucher et l’invertébré va devoir s’en extraire et reconstruire une autre logette. © MBari 

 

L’animal de neuf centimètres de longueur est un « larvacé » (autrefois « appendiculaire »), une taille généreuse pour ce groupe, certaines espèces ne mesurant que quelques millimètres. Tous présentent une vie très originale. La larve, constituée d’un tronc terminé par une queue mobile, ne devient jamais adulte. Une habitude rare dans le monde animal que les biologistes nomment néoténie. Chez les amphibiens, le célèbre axolotl en est un exemple.

 

La maison du larvacé Bathochordaeus charon est un filtre

Pour se nourrir, il construit un spectaculaire dispositif de filtration, qui peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres. Solidaire du tronc, mais laissant libre la queue servant à nager, cette « logette » - ainsi l’ont nommée les zoologistes - est composée de protéines et de cellulose. L’eau y circule dans un circuit compliqué fait de deux orifices, de canaux et de filtres. Les particules les plus grosses sont retenues et seuls parviennent au pharynx les aliments de juste taille. Ce filtre se bouche rapidement et le larvacé doit s’en débarrasser pour en construire un neuf, ce qu’il peut faire plusieurs fois par jour !

 

Les biologistes marins estiment même que ces logettes, transparentes et discrètes, constituent une part importante de la pluie de matière organique qui tombe des couches superficielles de l’océan vers les abysses, permettant à d’autres écosystèmes d’y vivre dans l’obscurité.

 

Ces larvacés sont peu diversifiés. Pour obéir aux règles de la systématique classique, les zoologistes ont dû créer un ordre unique (Copelata) qui regroupe les quelques familles connues, dont les Oikopleuridés, dont fait partie notre Bathochordaeus charon. Il a fallu du temps pour s’assurer qu’une cousine, B. stygius, qui lui ressemblait beaucoup, était bien une espèce distincte. L’équipe de Rob Sherlock a depuis revisité les films enregistrés lors d’observations sous-marines et pense avoir repéré douze fois des larvacés de cette espèce, qui ont donc été entrevus sans retenir l’attention.

Leur étude n’est pas qu’anecdotique. Avec leur chorde, ils représentent un groupe d’animaux proche de celui qui a conduit aux vertébrés actuels. L’analyse de leur développement peut donc permettre de mieux comprendre l’apparition de la grande famille dont nous faisons partie, avec les grenouilles, les salamandres, les tortues, les serpents, les dinosaures et les oiseaux...

 

Chroniques du plancton : l’appendiculaire, un étrange animal marin L’appendiculaire fait partie du plancton. De petite taille, il utilise une curieuse structure, appelée logette, pour se protéger et recueillir de quoi se nourrir. Christian Sardet, directeur de recherche au CNRS, nous offre, avec sa superbe collection Chroniques du plancton, un aperçu de ce surprenant animal marin. 

 

 

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