Parité homme - femme pour les administrateurs des sociétés

6/02/2013 à 08h05, Auteur : rédac-rss // Droit, Finances, assurances

 En application de l’article 73 quinquies, alinéa 2, du Règlement du Sénat, la commission des lois s’est saisie le 12 décembre 2012 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes (texte E 7881), transmise au Sénat le 27 novembre 2012 au titre de l’article 88-4 de la Constitution. Cette proposition est l’aboutissement d’une préoccupation déjà ancienne de la Commission européenne en matière d’égalité économique et professionnelle entre les hommes et les femmes.

 

Portant sur cette proposition de directive, la présente proposition de résolution européenne a été adoptée par votre commission des lois lors de sa réunion du mercredi 16 janvier 2013.

 

La France s’est dotée récemment dans ce domaine d’une législation très avancée et produisant déjà des effets positifs, avec la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle. Aussi, dans la continuité de ses positions antérieures, votre commission des lois approuve pleinement l’objectif quantitatif contraignant énoncé par la proposition de directive d’au moins 40 % de représentants de chaque sexe parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées.

 

Comme l’avait indiqué en 2010 notre collègue Marie-Hélène des ESGAULX, rapporteur au nom de votre commission des lois de la loi du 27 janvier 2011 précitée, les quotas sont « un mal désormais nécessaire » pour faire progresser la féminisation des organes d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, compte tenu de la lenteur des évolutions spontanées observées jusqu’alors. Cette féminisation accrue présente certes un intérêt social, mais aussi une utilité économique pour l’amélioration du fonctionnement des entreprises. Elle contribue également à renforcer l’égalité professionnelle parmi les salariés des entreprises.

 

De plus, comme la proposition de directive est régie par le principe de l’harmonisation minimale, la France pourrait conserver sa législation nationale plus avancée, du point de vue notamment du champ des sociétés concernées par cette obligation de mixité des conseils : alors que la proposition de directive s’en tient aux sociétés cotées de plus de 250 salariés et de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 43 millions d’euros de total de bilan, la loi française s’étend à toutes les sociétés cotées, quelle que soit leur taille, ainsi qu’aux sociétés non cotées de plus de 500 salariés et de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou de total de bilan.

 

Pour autant, par-delà l’approbation des objectifs généraux de la proposition de directive, votre commission des lois relève plusieurs dispositions problématiques tant du point de vue de la rédaction et de la cohérence du texte qu’au regard de la législation française en matière de recrutement et de composition des organes de direction des sociétés.

 

Ainsi, la présente proposition de résolution européenne, tout en approuvant les objectifs de la proposition de directive, souhaite son évolution sur certains de ses aspects.

 

1. L’aboutissement d’une préoccupation ancienne de la Commission européenne

 

Attentive au sujet de l’égalité entre les hommes et les femmes dès l’origine de la construction européenne, la Commission européenne a multiplié les initiatives destinées à promouvoir la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises depuis plusieurs années. Ces initiatives, jusque là peu efficaces, trouvent leur aboutissement et leur accomplissement dans la proposition de directive présentée en novembre 2012, même si les conditions de l’adoption définitive de celle-ci s’avèrent à ce jour incertaines.

 

a) Les initiatives européennes en matière de parité dans les conseils des sociétés

 

À la suite de plusieurs autres recommandations relatives à l’égalité entre les sexes, le Conseil de l’Union européenne a adopté en 1996, sur la proposition de la Commission européenne, une recommandation concernant la participation équilibrée des femmes et des hommes aux processus de décision, notamment dans le domaine économique.

 

En mars 2010, la Commission a réaffirmé dans sa stratégie 2010-2015 pour l’égalité entre les femmes et les hommes son attachement à la progression de la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises et plus largement dans les responsabilités économiques.

 

En mars 2011, Mme Viviane REDING, commissaire chargée de la justice, a lancé une initiative invitant les sociétés cotées européennes à prendre, sur la base du volontariat, des engagements publics pour accroître le nombre de femmes dans leurs conseils. Cette initiative a été un échec puisqu’un an après seules 24 sociétés avaient souscrit un tel engagement.

 

En mars 2012, la Commission européenne a présenté un rapport sur « les femmes dans les instances de décision économique au sein de l’Union européenne », montrant la lenteur des évolutions comme la disparité des situations des États membres1(*). À la suite de ce rapport et au vu de l’inefficacité de l’initiative de 2011, une consultation publique a été organisée par la Commission de mars à mai 2012 afin de définir des mesures appropriées de nature à accroître la place des femmes dans les conseils, en vue d’une éventuelle initiative législative.

 

Sur la base des résultats de cette consultation, un premier projet de texte a été discuté au sein de la Commission européenne en septembre 2012 sur la proposition de Mme Viviane REDING. Ce projet n’a pas été approuvé en raison de son caractère trop contraignant, le collège des commissaires apparaissant divisé et un certain nombre d’États membres ayant déjà fait part de leur hostilité. Dans ces conditions, un second projet moins contraignant, texte de compromis, a été discuté en novembre 2012 et, cette fois-ci, adopté par la Commission, sous la forme de la présente proposition de directive relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes.

 

De son côté, le Parlement européen s’est plusieurs fois prononcé en faveur d’un renforcement de la place des femmes dans les conseils des sociétés, et en dernier lieu par une résolution du 6 juillet 2011 sur les femmes et la direction des entreprises et par une résolution du 13 mars 2012 sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’Union européenne.

 

b) Le contenu de la proposition de directive de novembre 2012

 

Régie par le principe de l’harmonisation minimale, la proposition de directive fixe un objectif au 1er janvier 2020 d’au moins 40 % de membres de chaque sexe parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées, nombre arrondi au nombre entier inférieur ou supérieur le plus proche. Les petites et moyennes entreprises2(*) sont exclues du champ de la directive. Cette obligation est avancée au 1er janvier 2018 pour les sociétés cotées ayant le statut d’entreprise publique, par souci d’exemplarité.

 

Seuls sont concernés par cet objectif contraignant de 40 % les administrateurs non exécutifs, c’est-à-dire en droit français, dans les sociétés à conseil d’administration, les administrateurs à l’exception des présidents s’ils cumulent la fonction exécutive de directeur général et, dans les sociétés à directoire et conseil de surveillance, les seuls membres du conseil de surveillance.

 

La proposition de directive comporte une durée d’application limitée dans le temps dans la mesure où elle devrait perdre son utilité lorsque l’habitude de nommer des femmes en nombre suffisant dans les conseils aura été suffisamment intégrée. Elle doit donc expirer en 2028. Un dispositif d’examen régulier de la mise en oeuvre de la directive est également prévu.

 

Pour atteindre l’objectif de 40 %, la proposition de directive prévoit des mesures encadrant le processus de recrutement des membres des conseils, qui doit se dérouler « sur la base d’une analyse comparative des qualifications de chaque candidat à l’aune de critères préétablis, clairs, univoques et formulés en termes neutres ». La priorité de nomination doit être donnée, à qualifications égales, au candidat du sexe sous-représenté. Lorsqu’un candidat n’a pas été retenu, à sa demande, la décision doit être motivée et les critères de choix des administrateurs doivent lui être communiqués. Lorsqu’un candidat du sexe sous-représenté n’a pas été retenu et qu’il fait état de qualifications égales à un candidat retenu de l’autre sexe, la société doit prouver que son choix résulte uniquement de qualifications professionnelles supérieures.

 

La proposition de directive dispose toutefois que les États membres qui ont déjà adopté une législation garantissant une représentation équilibrée entre les sexes dans les conseils des sociétés cotées « peuvent suspendre l’application des exigences procédurales en matière de nomination », à condition de prouver que cette législation présente un effet équivalent à la proposition de directive à hauteur de 40 % en 2020. C’est en particulier le cas de la France.

 

Deux dérogations à l’obligation de 40 % sont possibles, à la discrétion des États membres. D’une part, elle n’est pas applicable aux sociétés dont les salariés du sexe sous-représenté représentent moins de 10 % des effectifs. D’autre part, elle n’est pas applicable aux sociétés dont les administrateurs du sexe sous-représenté, qu’ils soient exécutifs ou non, représentent au total au moins un tiers de l’ensemble des administrateurs.

 

Outre l’obligation de 40 % pour les administrateurs non exécutifs, la proposition de directive prévoit aussi que les sociétés cotées prennent des « engagements individuels » en matière de représentation équilibrée des sexes parmi les administrateurs exécutifs. En droit français seraient ainsi visés le directeur général ou le président-directeur général, dans les sociétés à conseil d’administration, et les membres du directoire ou le directeur général unique3(*) dans les sociétés à directoire et conseil de surveillance. Si rien n’est précisé quant au contenu de ces engagements, ils doivent être respectés dans les mêmes délais que l’objectif de 40 %.

 

Ces obligations de mixité doivent être assorties d’un régime de sanctions déterminé librement par la loi nationale, la proposition de directive suggérant néanmoins les hypothèses d’amendes administratives et de nullité des nominations. La mise en place de sanctions n’est pas limitée aux seules dispositions concernant les administrateurs non exécutifs, mais couvre toutes les dispositions de la directive.

 

Les informations relatives à la représentation équilibrée entre les hommes et les femmes dans les conseils doivent être transmises aux autorités nationales compétentes et rendues publiques. Lorsque les objectifs ne sont pas atteints dans les délais prévus, qu’il s’agisse de l’obligation de 40 % pour les administrateurs non exécutifs ou des engagements pour les administrateurs exécutifs, les sociétés doivent le justifier, selon le principe « comply or explain »4(*), sans que soit clairement précisée l’articulation de cette justification avec le régime des sanctions.

 

Compte tenu du principe d’harmonisation minimale et de l’exemption prévue en matière de processus de recrutement des administrateurs pour les États membres ayant une législation satisfaisant déjà aux objectifs de la directive, les dispositions concernant les administrateurs non exécutifs ne devraient pas appeler, pour l’essentiel, de mesure de transposition dans le droit français. En revanche, celles concernant les administrateurs exécutifs appelleraient une transposition spécifique.

 

c) Des incertitudes sur l’adoption finale de la proposition de directive

 

Si le Parlement européen semble très favorable à la mise en place de dispositifs contraignants en vue d’accroître la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises, tel n’est pas le cas d’un certain nombre d’États membres de l’Union européenne. À ce stade toutefois, la position officielle de chaque État au sein du Conseil n’est pas encore connue. Plusieurs Parlements nationaux ont néanmoins d’ores et déjà adopté des avis motivés à l’encontre de la proposition de directive, contestant son bien-fondé sur la base du principe de subsidiarité, et notamment les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark et la République tchèque.

 

Plus largement, il est vraisemblable qu’un certain nombre d’États attachés à la libre entreprise contestent dans son principe même la légitimité de la proposition de directive à intervenir dans la composition des conseils des sociétés cotées et exprimeront une hostilité forte, sans compromis possible, au sein du Conseil.

 

La France avait, quant à elle, par la voix du Gouvernement, apporté son soutien au premier projet présenté en septembre 2012 par Mme Viviane REDING. Le Gouvernement appuie à présent le texte de compromis de la proposition de directive, pour l’essentiel déjà satisfaite par la législation française dont elle partage largement la philosophie. L’Italie, elle-même dotée d’une législation dans ce domaine, semble être sur une ligne similaire à celle de la France.

 

À ce jour, la position de l’Allemagne demeure indécise, mais l’hostilité du patronat allemand est avérée. Si l’Allemagne ne s’accorde pas avec la France et ne se rallie pas à la proposition de directive, quitte pour ce faire à ce que certains aspects en soient modifiés, l’avenir de ce texte deviendrait très incertain et son adoption pourrait prendre beaucoup de temps, au prix sans doute d’une forte remise en cause de ses ambitions initiales.

 

Dans ces conditions, compte tenu de la difficulté à parvenir à un compromis entre les États, il n’est guère envisageable que la proposition de directive puisse être rendue plus contraignante, afin de ne pas renforcer les oppositions au texte. À cet égard, si la présente proposition de résolution européenne approuve l’ambition de la proposition de directive, elle suggère des modifications et des retraits dont plusieurs seraient vraisemblablement de nature à atténuer certaines oppositions.

 

2. Une législation française ambitieuse produisant déjà ses effets

 

La proposition de directive présentée par la Commission européenne intervient alors que la France a adopté au début de l’année 2011 une législation contraignante et ambitieuse destinée à aboutir rapidement à une réelle mixité dans les conseils d’administration et de surveillance. On peut d’ailleurs considérer que la législation française a largement inspiré cette proposition de directive, dont l’exposé des motifs cite la France en exemple. Ceci explique la position de la France dans les discussions sur la proposition de directive.

 

a) Le contenu de la législation française

 

Adoptée à l’initiative de nos collègues députés Jean-François COPÉ et Marie-Jo ZIMMERMANN, la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle a modifié le code de commerce pour imposer une proportion minimale d’au moins 40 % de représentants de chaque sexe dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions5(*), lorsqu’elles sont cotées ou qu’elles comptent plus de 500 salariés et plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou de total de bilan6(*). Le seul critère de la cotation avait été jugé insuffisant, dans la mesure où de grandes sociétés peuvent ne pas être cotées, de sorte que le critère de la cotation a été complété par un critère de taille. Toutes les sociétés cotées sont concernées, y compris les petites et moyennes entreprises, exclues du champ de la proposition de directive.

 

Tous les membres des conseils d’administration, y compris les présidents, et des conseils de surveillance sont concernés. Les administrateurs ou les membres du conseil de surveillance représentant des personnes morales sont soumis au respect du seuil de 40 %, tandis que ceux représentant les salariés ne sont pas pris en compte tout en étant soumis à une obligation spécifique de parité en cas d’élection par scrutin de liste. En revanche, compte tenu de sa particularité, la fonction exécutive de directeur général, lorsqu’elle est distincte de celle de président du conseil d’administration, n’est pas concernée de même que, par extension, les fonctions de membre du directoire et, dans les sociétés en commandite par actions, de gérant.

 

Lorsque le conseil n’est pas composé de manière régulière, des sanctions proportionnées et efficaces sont prévues par la loi : nullité des nominations qui ne respectent pas le seuil de 40 % et suspension des jetons de présence pour l’ensemble des membres du conseil, sous le contrôle des commissaires aux comptes. Dans un souci de sécurité juridique et économique pour la société comme pour ses partenaires, le Sénat avait supprimé la sanction de nullité des délibérations des conseils composés irrégulièrement. Ce régime de sanctions adapté garantit que la loi sera effectivement respectée.

 

L’obligation de 40 % et les sanctions afférentes entrent en vigueur au 1er janvier 2017 pour les sociétés cotées et au 1er janvier 2020 pour les autres. Des dispositions transitoires sont prévues avant cette date, notamment un seuil de 20 % pour les seules sociétés cotées en 2014.

 

Des dispositions similaires couvrent les entreprises publiques, régies par la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, pour les membres des conseils nommés par l’État et ceux élus par le personnel, avec toutefois un calendrier spécifique de mise en oeuvre lié au rythme de renouvellement des conseils des sociétés concernées.

 

b) Les premiers effets positifs de la législation française

 

Alors même que la loi impose aux seules sociétés cotées un seuil intermédiaire de 20 % dès le 1er janvier 2014 avant d’atteindre l’obligation de 40 % au 1er janvier 2017, il apparaît que des progrès importants ont d’ores et déjà été réalisés depuis 2010.

 

Ainsi, la proportion de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance est passée pour les sociétés cotées du SBF 120 de 12,5 % après les assemblées générales de 2010 à 21,9 % après celles de 2012 et pour les sociétés cotées du CAC 40 de 16,3 % à 25,2 % sur la même période7(*).

 

Si cette progression doit vraisemblablement être moins nette pour les petites et moyennes sociétés cotées comme pour les sociétés non cotées concernées par l’obligation de mixité, force est cependant de reconnaître l’effet positif rapide et significatif de la loi adoptée en 2011. Dans ces conditions, l’objectif de 40 % devrait pouvoir être aisément atteint en 2017, un délai supplémentaire de trois ans ayant été prévu pour les sociétés non cotées, qui sont moins concernées par les exigences de gouvernement d’entreprise portées par les marchés et les autorités de régulation au nom de la défense des épargnants et des investisseurs.

 

À cet égard, la mise en oeuvre d’une obligation de mixité dans les organes d’administration et de surveillance des sociétés cotées à l’échelle de l’ensemble de l’Union européenne serait de nature à rapprocher les législations nationales et à mettre toutes les grandes entreprises au même niveau d’exigence en termes de composition et de diversité des conseils.

 

3. Les difficultés posées par la proposition de directive au regard du droit français

 

Si les objectifs généraux de la proposition de directive sont conformes à ceux de la législation française, certaines modalités envisagées présentent des difficultés, en termes de cohérence et d’articulation interne des dispositions de la proposition de directive, mais aussi au regard du droit français. Ces difficultés concernent principalement les mesures destinées à encadrer le processus de sélection des membres des conseils et les engagements que doivent prendre les sociétés en matière de féminisation des fonctions exécutives.

 

a) Des mesures intrusives dans le processus de recrutement des administrateurs

 

L’article 4, paragraphes 1, 3, 4 et 5, de la proposition de directive prévoit des mesures afin d’encadrer le processus de recrutement des membres des membres des conseils, ainsi que cela a été exposé plus haut, destinées à mieux parvenir à l’objectif de 40 %. De telles mesures n’existent pas dans le droit français des sociétés, qui se borne à fixer un nombre très limité de critères objectifs8(*), le reste relevant du libre choix des sociétés, de leurs statuts et de leurs organes dirigeants, le cas échéant avec l’intervention du comité des nominations s’il existe.

 

Au surplus, il n’existe pas de procédure organisée par la loi de candidature préalable pour les fonctions d’administrateur de société, de sélection parmi plusieurs candidats ou encore de fixation de critères de sélection. Ces dispositions de la proposition de directive sont ainsi inadaptées à la réalité des conditions de recrutement des membres des conseils des sociétés. Dans la pratique, il n’y a pas de candidatures formalisées parmi lesquelles les conseils seraient amenés à proposer de nouveaux administrateurs, de sorte que la notion de « candidat non retenu » n’a pas de sens juridiquement. La majorité des sociétés font appel à des cabinets de recrutement spécialisés, qui identifient des candidats en fonction des profils recherchés par la société, avec une forte part d’intuitu personae dans le choix des personnes retenues, a fortiori à ce niveau de responsabilité.

 

Transposer ces mesures d’encadrement du processus de recrutement des administrateurs serait un réel bouleversement du droit français des sociétés, qui aboutirait à une rigidité et à une judiciarisation de la désignation des dirigeants de sociétés, porteuses de risques économiques importants pour la stabilité et la pérennité de la direction des entreprises. En effet, devoir justifier des critères de sélection et des motifs de choix des administrateurs, notamment à la demande d’un « candidat non retenu », conduirait nécessairement à des contentieux, qui n’existent pas et n’ont pas lieu d’être aujourd’hui.

 

Ces dispositions posent ainsi objectivement un problème de subsidiarité. On peut invoquer à cet égard les principes constitutionnels de liberté du commerce et de l’industrie, de liberté d’entreprendre et de liberté contractuelle pour justifier la libre organisation du recrutement des dirigeants des sociétés commerciales privées et, par conséquent, la relative souveraineté de leurs conseils dans ce domaine.

 

Certes, l’article 8, alinéa 3, de la proposition de directive permet aux États membres qui ont déjà introduit dans leur droit des mesures contraignantes en matière de mixité des conseils d’être exonérés de ces dispositions, « pour autant qu’il puisse être démontré que ces mesures permettront aux membres du sexe sous-représenté d’occuper 40 % au moins des postes d’administrateurs non exécutifs au plus tard d’ici le 1er janvier 2020 dans les sociétés cotées ». Il est manifeste que la loi du 27 janvier 2011 précitée répondrait à cette condition et permettrait à la France de bénéficier de cette exonération, à condition toutefois que ce dispositif d’exonération demeure dans le texte final.

 

Pour autant, la seule présence de ces mesures dans la proposition de directive pose cependant une difficulté de principe au regard de la conception française du droit des sociétés, en ce qu’elles constituent une forte intrusion dans la libre organisation des sociétés commerciales et peuvent à ce titre constituer un précédent.

 

S’il apparaissait nécessaire de mieux encadrer le fonctionnement des organes dirigeants des sociétés françaises, il appartiendrait au seul législateur national d’intervenir. À cet égard, un projet de loi relatif au gouvernement d’entreprise est actuellement en cours d’élaboration, sur la base d’une consultation publique organisée par le Gouvernement en 2012.

 

b) Des exonérations contestables à l’obligation de représentation d’au moins 40 %

 

L’article 4, paragraphes 6 et 7, de la proposition de directive offre aux États membres qui le souhaiteraient la faculté de prévoir deux dérogations à l’obligation de 40 %, qui paraissent toutefois incohérentes avec les objectifs de la directive.

 

D’une part, il serait possible d’exonérer les sociétés cotées de toute obligation de mixité dans leur conseil lorsque dans cette société les salariés du sexe sous-représenté représentent moins de 10 % des effectifs. Outre le fait qu’une telle situation doit être particulièrement rare en pratique, la diversité des profils aujourd’hui recherchée dans la composition des conseils rend obsolète l’idée selon laquelle les administrateurs ne représentent que le métier principal de l’entreprise. Cette préoccupation de diversité permet justement de recruter des femmes sur des profils utiles et complémentaires autres que le métier de l’entreprise. Au surplus, dès lors que l’objectif est de féminiser les conseils, il n’y a pas lieu d’en exonérer complètement certaines sociétés. Dans ces conditions, une telle dérogation paraît injustifiée, tant en pratique que dans son principe même.

 

D’autre part, il serait possible de ne pas soumettre les sociétés à une obligation de 40 % pour les seuls administrateurs non exécutifs à la condition que, sur l’ensemble des administrateurs non exécutifs mais aussi exécutifs, les membres du sexe sous-représenté représentent au moins un tiers de l’ensemble. Dans ces conditions, en droit français, il suffirait qu’une femme occupe la fonction de directeur général dans une société à conseil d’administration9(*) pour que l’obligation de mixité soit réduite. Si l’on peut comprendre la finalité de cet assouplissement dans la mesure où la féminisation des fonctions exécutives est encore plus difficile que celle des conseils, il est peu probable qu’il constitue une incitation suffisante pour la nomination de femmes aux fonctions de directeur général, président-directeur général ou bien membre de directoire, compte tenu de l’importance opérationnelle de ces fonctions. Dès lors, il apparaît plutôt comme un affaiblissement inutile de la portée de l’obligation de 40 %.

 

c) Une rédaction floue et discutable concernant les administrateurs exécutifs

 

Alors qu’elle impose des objectifs quantifiés et contraignants de représentation équilibrée des hommes et des femmes pour les administrateurs non exécutifs, la proposition de directive s’en tient pour les administrateurs exécutifs à de simples engagements volontaires non quantifiés, à la portée incertaine tant juridiquement que pratiquement. À cet égard, la législation française a préféré se limiter à l’objectif plus simple de féminisation des conseils, estimant que celle-ci conduirait nécessairement à une féminisation progressive des fonctions exécutives.

 

L’article 5, paragraphe 1, de la proposition de directive prévoit en effet que les sociétés cotées « contractent des engagements individuels » en matière de représentation équilibrée des sexes parmi les administrateurs exécutifs, sans rien préciser quant à leur contenu. En droit français, ces dispositions devraient concerner, dans les sociétés à conseil d’administration, le directeur général, y compris lorsque cette fonction est cumulée avec celle de président, et les éventuels directeurs généraux délégués, ainsi que, dans les sociétés de structure dualiste, les membres du directoire ou le directeur général unique. Ces engagements doivent être respectés dans les mêmes délais que l’obligation de 40 % pour les administrateurs non exécutifs.

 

D’une part, le choix du verbe « contracter » est discutable et juridiquement inapproprié, dans la mesure où il peut laisser penser, de façon paradoxale, que les engagements auraient une valeur contractuelle, auprès notamment des autorités publiques concernées qui pourraient être chargées de les approuver, d’en demander éventuellement la correction ou d’en être les garantes10(*).

 

D’autre part, on peut s’interroger sur la signification réelle de ces engagements. Une société pourrait ainsi simplement s’engager à maintenir en l’état l’équilibre des sexes au sein de ses fonctions exécutives, privant ces dispositions de tout effet réel en matière de progression de la présence des femmes. Pour les sociétés françaises - très majoritaires11(*) - dotées d’un directeur général ou d’un président-directeur général, c’est-à-dire une seule personne exerçant une fonction exécutive, quel pourrait être le contenu de ces engagements ? On pourrait trouver a priori une signification à ces dispositions uniquement pour les sociétés dotées d’un directoire ou de directeurs généraux délégués.

 

En tout état de cause, si ces dispositions demeuraient dans la proposition de directive en dépit de leur utilité douteuse, elles nécessiteraient en France de prendre des mesures législatives de transposition, contrairement aux dispositions relatives aux administrateurs non exécutifs.

 

d) Des interrogations sur les conditions d’application des sanctions

 

L’article 5, paragraphe 3, de la proposition de directive indique qu’une société qui ne remplit pas ses objectifs dans les délais, c’est-à-dire au 1er janvier 2020, qu’il s’agisse de l’obligation de 40 % ou des engagements individuels, doit exposer dans les informations qu’elle publie sur la mixité dans ses organes dirigeants « les raisons du manquement et une description des mesures que la société a adoptées ou qu’elle envisage d’adopter afin d’atteindre ces objectifs ou d’honorer ses engagements ».

 

Cette disposition pose un problème d’interprétation, car elle paraît contradictoire avec la mise en place de sanctions, prévue par l’article 6, pour les infractions aux dispositions nationales de transposition de la directive, sans distinction des dispositions concernant les administrateurs exécutifs de celles concernant les administrateurs non exécutifs. On pourrait comprendre que, si la société ne respecte pas ses objectifs mais peut avancer des raisons pour s’en expliquer, elle pourrait ne pas être soumise aux sanctions, lesquelles seraient alors réservées aux seules sociétés qui ne respectent pas leurs objectifs sans justification. Faut-il y voir une dérogation au régime des sanctions prévues à l’article 6 ?

 

Il existe ainsi dans la proposition de directive une contradiction de fond - contradiction au moins apparente en cas d’incohérence de la rédaction - entre la mise en place d’obligations légales contraignantes assorties de sanctions, dans la lignée de la législation française, et l’invocation de l’autorégulation dépourvue de sanction telle qu’elle ressort de cette disposition apparentée au principe « comply or explain ». Ces deux logiques ne sont pas compatibles et ne peuvent subsister concurremment. Sans doute faut-il y voir la marque du compromis ayant permis à la proposition de directive d’aboutir au sein de la Commission européenne.

 

e) Quelques dispositions ponctuelles problématique

 

Deux dispositions ponctuelles posent une difficulté, au sein de l’article 2 de la proposition de directive, relatif aux définitions.

 

D’une part, la référence au « siège statutaire » dans la définition de la société cotée serait une innovation problématique dans la législation européenne. En effet, mentionner cette notion jusque là inusitée conduirait à reconnaître en droit la dissociation entre siège statutaire et siège social réel où se trouvent les organes de direction. Une telle distinction n’existe pas en droit français, qui ne connaît que le siège social, ni, à ce jour, en droit communautaire. Reconnaître la notion de siège statutaire dans ce texte pourrait susciter des effets pervers et constituerait un précédent : certaines sociétés pourraient être tentées de transférer leur siège statutaire hors du territoire de l’Union européenne pour échapper à des règles contraignantes sans déplacer pour autant en réalité leurs organes de direction.

 

D’autre part, la référence aux « valeurs mobilières » dans la même définition de la société cotée pourrait poser une difficulté au regard de la législation française, car seraient comprises dans le champ de la directive toutes les sociétés dont les valeurs mobilières - et pas seulement les actions comme le prévoit la loi du 27 janvier 2011 précitée - sont admises à la négociation sur un marché réglementé. En d’autres termes, les actions n’étant qu’une des catégories de valeurs mobilières, une société qui aurait uniquement émis des obligations cotées et non des actions serait aussi concernée par la directive. Sur ce point, une disposition particulière de transposition serait alors nécessaire.

 

Par ailleurs, alors que l’article 2 relatif aux définitions mentionne bien les représentants des salariés dans la catégorie des administrateurs, ceux-ci ne sont pas pris en compte en tant que tel dans la proposition de directive, alors qu’ils ne sont pas désignés juridiquement dans les mêmes conditions que les autres administrateurs. Dans le droit français, ils sont élus, de sorte que l’obligation de représentation équilibrée des hommes et des femmes ne peut s’appliquer à eux de la même manière. Des dispositions spécifiques seraient donc nécessaires.

 

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

 

Le Sénat,

 

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

 

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes (E 7881),

 

Vu la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle,

 

Considérant que l’attribution d’une place plus importante aux femmes dans la direction et les conseils des sociétés est une exigence nécessaire économiquement comme socialement,

 

Considérant que, compte tenu de la lenteur des évolutions spontanées et des insuffisances de l’autorégulation des entreprises dans ce domaine, il est désormais pertinent d’intervenir par l’adoption de règles législatives contraignantes,

 

Considérant que, par la loi du 27 janvier 2011 précitée, la France s’est dotée d’une législation avancée et ambitieuse de nature à faire véritablement progresser la place des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés, en prévoyant une obligation de représentation d’au moins 40 % pour chaque sexe sous peine de sanctions appropriées,

 

Considérant qu’une harmonisation des règles nationales en matière de composition équilibrée des conseils entre les hommes et les femmes permet de réduire les disparités réelles entre les États membres et d’égaliser les conditions économiques et les contraintes de composition des conseils pour les grandes sociétés européennes,

 

Souhaite l’adoption de règles européennes ambitieuses et contraignantes de nature à permettre d’accroître réellement la présence des femmes dans les conseils des sociétés,

 

Adhère pleinement aux objectifs énoncés par la proposition de directive précitée, notamment à l’obligation de représentation de chaque sexe dans les conseils à hauteur d’au moins 40 % et à l’instauration de règles contraignantes pour les entreprises,

 

Approuve le principe d’harmonisation minimale figurant dans la proposition de directive, qui permettra à la France de conserver sa législation plus ambitieuse, notamment du point de vue du périmètre des sociétés concernées par l’obligation légale de mixité,

 

Souhaite que la proposition de directive retienne, dans la définition de la société cotée posée à l’article 2, la notion de siège social et non de siège statutaire et la notion d’actions et non de valeurs mobilières, afin d’identifier de manière plus pertinente, fiable et pérenne l’ensemble des sociétés entrant dans le champ des obligations posées,

 

Désapprouve les mesures figurant à l’article 4, paragraphes 1, 3, 4 et 5, destinées à encadrer le processus de recrutement des administrateurs, inadaptées à la réalité, fortement intrusives dans l’organisation des sociétés privées et sans doute contraires au principe constitutionnel de la liberté d’entreprendre, même si la France pourrait en être exonérée en vertu de l’article 8, paragraphe 3, grâce à l’adoption de la loi du 27 janvier 2011 précitée,

 

Désapprouve également les facultés d’exonération totale ou partielle offertes par l’article 4, paragraphes 6 et 7, dont l’utilité réelle n’est pas avérée, mais qui affaiblissent la portée de la proposition de directive,

 

Souhaite le retrait des obligations d’engagements individuels des sociétés cotées concernant les administrateurs exécutifs, figurant à l’article 5, paragraphe 1, dans la mesure où leur portée juridique est incertaine et discutable et leur impact pratique vraisemblablement très modeste, alors qu’elles imposent des contraintes formelles supplémentaires inopérantes au regard de l’objectif de féminisation de la direction des entreprises,

 

Invite à une clarification de l’article 5, paragraphe 3, et de l’article 6, de façon à ce que toutes les sociétés qui ne respecteraient pas les objectifs contraignants de mixité dans leurs conseils soient effectivement concernées par les sanctions prévues et ne puissent pas s’y soustraire en avançant des motifs pour justifier qu’elles n’ont pas pu atteindre ces objectifs,

 

Demande l’intégration dans la proposition de directive de dispositions spécifiques concernant l’équilibre entre les hommes et les femmes pour les administrateurs représentant les salariés, compte tenu de leurs modalités particulières de désignation.

 

* 1 Ce rapport indique que la France, du fait de l’adoption de la loi du 27 janvier 2011, représente à elle seule plus de 40 % de la progression totale de la proportion de femmes dans les conseils des sociétés cotées observée entre octobre 2010 et janvier 2012 dans l’Union européenne.

 

* 2 Sociétés de moins de 250 salariés et moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou 43 millions de total de bilan selon la définition européenne.

 

* 3 Dans les sociétés à directoire et conseil de surveillance, lorsque les fonctions du directoire sont exercées par une seule personne, celle-ci prend le titre de directeur général unique.

 

* 4 Issu du droit anglo-saxon des sociétés, ce principe signifie qu’une société doit se conformer à une règle ou bien s’expliquer si elle ne peut pas s’y conformer. Ce principe exclut toute idée de sanction en cas de non respect de la règle, lui préférant la vertu de la transparence pour justifier que la règle a été écartée, contraignant ainsi les sociétés à communiquer sur leur manière d’appliquer les règles de gouvernement d’entreprise.

 

* 5 Sont ainsi concernées toutes les catégories de sociétés par actions pour lesquelles le code de commerce impose l’existence d’un organe collégial d’administration ou de surveillance : les deux formes de sociétés anonymes, c’est-à-dire les sociétés à conseil d’administration, qui peuvent avoir dissocié ou non les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, et les sociétés dualistes à directoire et conseil de surveillance, comme la forme particulière des sociétés en commandite par actions.

 

* 6 Par commodité, pour les sociétés dont les conseils comportent au plus huit membres, le seuil d’au moins 40 % est remplacé par la limitation au plus à deux de l’écart entre le nombre de représentants de chaque sexe.

 

* 7 Source : quatrième rapport annuel sur le code AFEP-MEDEF, décembre 2012.

 

* 8 Limite d’âge, obligation de détention de titres de la société et règles de cumul des mandats en particulier.

 

* 9 En 2011, les sociétés à conseil d’administration représentaient 80 % des sociétés du CAC 40 et du SBF 120, les 20 % restant se répartissant entre les sociétés à directoire et conseil de surveillance, principalement, et quelques sociétés en commandite par actions.

 

* 10 L’utilisation de ce verbe semble résulter d’une traduction imprécise, car la même difficulté n’apparaît pas à la lecture de la version anglaise de la proposition de directive.

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