Toulouse : Restauration de l’architecture moderne

19/05/2013 à 00h05, Auteur : rédac-rss // Sorties-Loisirs-Culture

Conservation, restauration de l’architecture du mouvement moderne : l’exemple de l’université de Toulouse Le Mirail de Georges Candilis.

Depuis le début des années 2000, la nécessaire reconstruction du campus de l’université de Toulouse-2-Le-Mirail attire l’attention de plusieurs historiens de l’architecture du XXe siècle1. La conservation des bâtiments qui constituent l’origine de ce campus conçu par l’agence d’architecture Candilis, Josic et Woods au début des années 1970, en débat depuis le début des années 2000, relève aujourd’hui d’une actualité brûlante. En très mauvais état de conservation, les bâtiments, qui en outre ne répondent plus aux normes actuelles de sécurité, sont l’objet d’inquiétudes. La question de leur devenir se pose de manière cruciale.

 

C’est cet exemple d’architecture « en perdition » qui a conduit plusieurs historiens de l’art, architectes et pratiques de ce lieu à proposer un débat plus large sur la conservation et la restauration d’édifices de la même époque dont l’architecture a pu être mise en danger ou le sera dans des délais plus ou moins longs.

L’idée n’était pas d’entraver des projets de réhabilitation déjà pensés. Il s’agissait plutôt de rassembler, autour de l’architecture du XXe siècle, quelques-uns de ces chercheurs, historiens, architectes ou acteurs de terrain qui, à travers leurs expériences personnelles, ont entrepris une réflexion sur la question de sa protection. L’ambition était de mettre en lumière, de rassembler et de confronter des idées, de manifester l’impérative nécessité de prendre en compte, désormais, ce patrimoine récent. Chacun apportant le témoignage de la fortune actuelle d’architectures vulnérables, les regards se sont ainsi croisés sur la problématique essentielle de la patrimonialisation de l’héritage bâti du XXe siècle. La chronologie des débats organisée autour de deux axes, l’architecture de Georges Candilis à l’UTM et les exemples significatifs d’architectures menacées, a conduit à des échanges percutants sur la notion plus générale de protection de l’architecture du XXe siècle.

 

Le professeur Marie-Christine Jaillet, en sa qualité de vice-présidente du conseil scientifique de l’université Toulouse Le Mirail, a introduit la rencontre par une démonstration clairement formulée de l’intérêt qu’elle porte au devenir de l’architecture de Candilis. Spécialiste des questions urbaines, elle a affirmé la place de l’architecture de Candilis dans le grand projet de ville toulousain, assurant que le plan d’aménagement du campus ne prescrivait pas d’effacer ce bâtiment de référence de l’architecture moderne mais de le faire évoluer et de l’articuler aux édifices à venir, dans le respect de la question de la patrimonialisation. Puis, après que Catherine Compain-Gajac ait proposé un rappel historique, depuis le XIXe siècle, de la notion de conservation-restauration de l’architecture dans le but de mettre en évidence les temps forts de la prise en compte patrimoniale de l’architecture du XXe siècle, le contexte de l’édification du campus universitaire du Mirail a été présenté. Un tableau du site historique évoquant la mémoire du château du Mirail (toujours existant) depuis le XVIe siècle a été présenté par Pascal Julien, puis Danièle Voldman, s’appuyant sur le contexte général des Trente Glorieuses à donné à comprendre comment, pour des raisons liées aux questions foncières, les villes avaient organisé, à partir de 1958, un urbanisme aux champs qui allait engendrer nombre de villes nouvelles et projets d’aménagements universitaires. Évoquant les ombres qui ont cerné les débats autour de la ville nouvelle du Mirail depuis sa conception, l’urbaniste Pierre Weidknnet a dressé un état des lieux de l’architecture toulousaine du XXe siècle.

 

La reconstruction du campus du Mirail et les problématiques qui s’y rattachent ont ensuite été développées par les acteurs même du projet. L’architecte Rémi Papillault, actif sur l’actuel schéma directeur d’aménagement, a rappelé la place historique de l’université dans le projet de ville nouvelle également conçue par l’équipe Candilis, Josic et Woods. Il a ensuite développé la dualité des enjeux d’un débat destruction-reconstruction face à l’idée d’une patrimonialisation possible de l’architecture en question. Les controverses qui ont animé ces débats ont été mises en lumière par Jean-Michel Minovez, historien et ancien vice-président au Patrimoine de l’UTM. Le constat de l’importante dégradation des bâtiments et de la double nécessité de procéder à une remise en état et de développer le campus de l’université s’est imposé sans équivoque. Cependant, même si les différents projets envisagés à partir de l’an 2000 se sont constamment articulés autour de l’idée du respect de la trame constructive et de la dalle structurelle, caractéristiques de cette architecture de Candilis, il n’en demeure pas moins que dans un premier temps une démolition-reconstruction de l’université a pu être envisagée sans compromis. La controverse tenait cependant à l’idée que l’architecture de Candilis devait être considérée comme une entité que l’on ne pouvait émietter, rogner, désagréger avec la seule consolation d’en conserver une infime partie destinée à la muséification comme cela était prévu. Une évolution favorable des projets montre qu’aujourd’hui l’essentiel de l’architecture de Georges Candilis peut être sauvé, quelques modules seulement étant promis à la destruction. Nicolas Golovtchenko, actuel vice-président au Patrimoine, replaçant l’université dans le contexte du développement urbain de Toulouse a, dans ce sens, présenté le nouveau schéma directeur.

 

En affirmant une volonté de réhabilitation architecturale, il a confirmé d’une part le souci de conserver une partie significative de l’architecture de Candilis, outre le bâtiment originel le seul dont la structure soit métallique, d’autre part de développer l’architecture du futur campus à partir de la trame constructive originelle de Candilis. L’architecte Gérard Huet est venu, dans ce sens, apporter un premier témoignage d’intervention. À la fin des années 1980, l’architecture de l’Arche, dont il est l’auteur, est venue se greffer dans la diagonale du coin sud-est de la dalle de Candilis, perturbant l’orthogonalité mais respectant la référence formelle de la trame. L’architecte a expliqué son geste comme une réponse au programme. Il a construit un bâtiment signal qui s’est donné pour mission, par sa physionomie, de révéler par divers procédés l’architecture de Candilis, empreinte emblématique des Modernes en terre toulousaine.

 

C’est enfin le regard d’une historienne-plasticienne qu’Isabelle Alzieu a souhaité apporter au débat. Témoignant avec émotion et enthousiasme d’une pratique personnelle du lieu lorsqu’elle était étudiante de l’UTM, elle a ensuite développé deux interventions d’artistes choisis, Georges Rousse en résidence à l’UTM en 2003 et Jagna Ciuchta en 2005, montrant comment deux expériences aussi différentes de l’espace avaient pu révéler l’esprit de l’architecture.

 

Le débat s’est alors ouvert à des perspectives plus larges. Agnès Cailliau, présidente de Docomomo France, a convoqué plusieurs exemples d’architectures en perdition. De la cité artisanale de Sèvres qui a permis d’évoquer la destruction d’une œuvre majeure de Candilis, architecturalement proche du Mirail, à la Cité des Poètes de Pierrefitte et aux logements sociaux Gamma de Nancy, ensembles emblématiques également menacés. Rappelant l’engagement déterminé de Docomomo dans des actions de plus en plus nombreuses sur le sujet plus général de la sauvegarde du patrimoine de l’architecture du XXe siècle. Agnès Cailliau a été confortée dans ses propos par l’intervention du professeur Gérard Monnier qui, à travers sa très riche expérience personnelle, a proposé un panorama des enjeux et des pratiques de la protection du patrimoine architectural du XXe siècle depuis la création de la COmmission RÉgionale du Patrimoine Historique, Archéologique et Ethnologique jusqu’à la reconnaissance de ce patrimoine, aujourd’hui par les services de l’Inventaire et les Commissions Régionales du Patrimoine et des Sites. Le conservateur général du patrimoine Bernard Toulier a pour sa part fait le point sur les études et les recherches mises en œuvre par la mission sur le patrimoine architectural des XIXe et XXe siècle mise en place entre 1987 et 2004. Insistant sur l’importance des engagements personnels dans les actions de sauvegarde, il a montré que celles-ci ont, de manière effective, permis d’impulser de véritables politiques de protection du patrimoine architectural contemporain.

 

Dans ce contexte, l’architecture de Le Corbusier ne pouvait manquer d’être évoquée. Les problèmes liés à sa patrimonialisation ont ainsi été envisagés par Daniel Pinson, mettant la cité de Rezé, conçue en 1950, en perspective avec la Claire cité de la Balinière, cité-jardin-castor considérée comme une autre réponse à la crise du logement. À sa suite, Joseph Abram, témoin également très engagé, a retracé l’histoire de la réhabilitation de l’unité d’habitation de Briey-en-Forêt, faisant état des aléas de la vie du bâtiment. Évoquant la situation historique de la construction de cette architecture dans le contexte de la reconstruction et du développement industriel dans le bassin de Briey, Joseph Abram a souligné les rôles majeurs joués par trois acteurs majeurs Claudius Petit, Le Corbusier et Georges-Henri Pingusson. Il a conclu en regrettant la résistance du logement social dans le processus de reconnaissance patrimoniale de la part du public et de l’administration. Le caractère nécessaire des engagements et des initiatives personnelles dans le processus de protection et de conservation du patrimoine moderne s’est vérifié avec l’exposé de Gilles Ragot. Expliquant la longue et difficile démarche de candidature de l’œuvre architecturale et urbaine de Le Corbusier à l’inscription sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, cet historien de l’architecture convaincu a mis l’accent sur la difficulté à faire reconnaître un patrimoine atypique composé d’œuvres qui ne sont pas toutes monumentales. Quant à Benoît Pouvreau, témoin de la situation dans le département de la Seine-Saint-Denis où se concentrent aujourd’hui le plus grand nombre de projets de démolition/reconstruction de grands ensembles de logements de France, il a plus particulièrement dénoncé l’évolution actuelle des politiques de démolition à l’égard des ensembles labellisés.

 

Le colloque ayant engagé à réfléchir à partir d’une œuvre de Candilis, diverses interventions se sont déclarées autour de cet architecte. Sylvie Denante, chargée d’études documentaires à la DRAC PACA, a ainsi évoqué une solution de sauvetage mené à partir de l’attribution du label Patrimoine du XXe siècle dont ont bénéficié le lotissement Les Mûriers à Manosque, la résidence Le Petit Nice à Aix-en-Provence et la cité de La Viste à Marseille. Laurent Duport a poursuivi par une analyse de la cité des Escanaux à Bagnols-sur-Cèze. Décrivant les mécanismes de réhabilitation des bâtiments et mettant l’accent sur les imperfections d’une politique d’intervention orientée vers des réhabilitations ponctuelles plutôt que vers la prise en compte de la globalité du patrimoine immobilier, l’architecte-historien a ainsi soulevé un problème de politique générale de la gestion du patrimoine architectural du XXe siècle.

 

C’est par leur regard passionné sur une architecture emblématique du Mouvement Moderne dans la capitale girondine que les bordelais Marc Saboya et Mathieu Lebecq ont clôturé la rencontre. Après un panorama de la construction architecturale bordelaise des années 1930 à la fin de la seconde guerre mondiale, l’historien Marc Saboya a dressé un état de la critique locale et de ses conséquences à l’égard de la modernité à travers l’exemple du sauvetage de la caserne de pompiers de la Benauge construite par les architectes bordelais Ferret, Salier, Courtois en 1954. L’architecte Mathieu Lebecq a complété ce propos par la présentation de son projet de réhabilitation architecturale de la caserne, expliquant comment résoudre la problématique du passage d’une architecture du passé vers celle du présent par une prise de position affirmée de l’architecte dans le processus du « créer dans le créé ».

 

À travers les regards ainsi exprimés, la finalité du colloque Conservation, restauration de l’architecture du mouvement moderne : l’exemple de l’université de Toulouse Le Mirail de Georges Candilis était de mettre l’accent, modestement mais avec conviction, sur la gravité des enjeux de la conservation de l’architecture du XXe siècle. Les intervenants, le public et la communauté universitaire présente, concernés par l’histoire de l’architecture moderne, se sont montré déterminés à envisager la poursuite d’actions significatives et systématiques. L’exemple du campus universitaire du Mirail de Georges Candilis a en effet permis d’aborder la question spécifique de la conservation de l’architecture universitaire. Suscitant aujourd’hui un intérêt croissant à travers les publications universitaires qui montrent la nécessité d’études spécialisées, la restauration et la réhabilitation des architectures universitaires concernent tant l’architecture des bâtiments que l’organisation de l’urbanisme environnant. Elles posent la question de l’émergence de la notion de campus universitaire à partir de l’après deuxième guerre mondiale et des réponses diverses qui ont été apportées, non seulement en France mais à travers le monde.

 

Analyser les concepts qui ont motivé l’acte créateur pour révéler la personnalité de l’architecte, voir et comprendre comment ces campus ont vécu et vieilli pendant un demi-siècle, observer comment ils sont aujourd’hui utilisés, permet d’énoncer une démarche empirique destinée à favoriser la compréhension de ces architectures. Analyser l’évolution des contextes, observer l’augmentation de la population estudiantine et les modifications dans les modes de fréquentation des campus par les étudiants et par les enseignants, permet de porter un regard sur les nouvelles données de l’offre de formations et sur l’évolution des méthodes d’enseignement, et de situer ces architectures fatiguées dans une actualité sous-tendue par l’urgence.

Partout à travers le monde, des universitaires et des architectes se sont depuis longtemps penchés sur les problématiques nées de l’évolution des campus universitaires. En France (Bordeaux, Dijon, Caen, Compiègne, Grenoble, Lille, Lyon, Marseille, Orléans, Rennes, Jussieu, Saint-Denis, Villetaneuse, Montpellier), en Europe les campus de Louvain la neuve, Valence – Blasco Ibanez, Berlin, etc., ailleurs (Buenos Aires, Mexico, Laval, Tokyo, Constantine) peuvent constituer des sites de référence à partir desquels il sera sans doute utile de développer des problématiques communes.

 

Ces architectures particulières sont aujourd’hui âgées de quelques 60 ans et plus. La démocratisation de l’accès à l’université, l’évolution du nombre des étudiants, le développement des propositions d’enseignements et de formation, l’importance du rôle de l’université dans le domaine de la recherche entraînent à repenser l’Université et par voie de conséquence les bâtiments qu’elle occupe. Les plans de modernisation, engagés depuis une vingtaine d’années concernent, à des degrés divers, l’ensemble des campus universitaires. Leur état de conservation, les conditions dans lesquelles ils ont été réaménagés, réhabilités, interrogent sur la faisabilité et l’intérêt même du maintien d’architectures parfois devenues obsolètes. L’amélioration des structures, la rénovation des locaux ne suffisent pas, souvent, à mettre en place les conditions d’une performance fonctionnelle et humaine des établissements.

 

Une fois délimité, le champ d’investigation devrait permettre d’analyser la mise en œuvre des procédures de conservation et de restauration actuellement vécues par les universités : conservation d’architectures témoins d’un moment et d’un lieu de l’histoire de l’enseignement supérieur, adaptation de ces architectures au monde universitaire d’aujourd’hui.

 

Une suite scientifique au colloque de Toulouse, centrée autour de la notion de conservation-restauration de l’architecture du Mouvement Moderne à travers la situation des universités édifiées entre 1945-1975, est en cours de réflexion.

 

1 - Sources : Colloque « Conservation, restauration de l’architecture du mouvement moderne : l’exemple de l’université de Toulouse Le Mirail de Georges Candilis. » Toulouse, 8-10 avril 2010. Actes publiés aux Presses Universitaires de Perpignan, décembre 2012.

 

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