La victoire de Samothrace restaurée

15/02/2014 à 09h07, Auteur : rédac-rss // Sorties-Loisirs-Culture

La Victoire de Samothrace : les secrets de sa métamorphose. Restaurer un monument tel que la Victoire de Samothrace n’est pas une mince affaire. Il faut déplacer la statue, démonter le socle bloc à bloc, organiser le transport, procéder aux analyses, à l’étude, puis au remontage de plus de 30 tonnes de marbre... Les équipes scientifiques se relaient pour livrer, d’ici le début de l’été, la célèbre statue ailée, fleuron du musée du Louvre. Trois acteurs clés nous parlent des premières étapes de cette métamorphose.

« Repérer des traces de polychromie ».

Sandrine Pagès-Camagna, Ingénieur de recherche au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).

Le C2RMF a été appelé pour une double mission : celle de la recherche scientifique, notamment concernant la connaissance des matériaux et celle de la stratégie d’accompagnement de la restauration. Pour cette dernière, une équipe de photographes et de radiologues a réalisé toute la documentation scientifique de la Victoire de Samothrace, c’est à dire des prises de vue en lumière ultra-violette, en infra-rouge ainsi que rayons X sous forme de radiographie par RX, notamment sur les ailes et le pan arrière pour vérifier les montages anciens, faire un bilan de leur état et favoriser la meilleure option pour la restauration. 

Ces analyses se sont déroulées la nuit, d’une part pour des raisons de sécurité du public, et d’autre part pour optimiser les conditions d’examen. Dans un deuxième temps, le C2RMF a procédé à une observation de la surface du marbre de la statue et des blocs du bateau, afin de repérer d’éventuelles traces de polychromie. Le suivi s’est fait à l’aide de binoculaire -un appareil d’observation avec un système de grossissement par loupe- et nous avons fait appel à la collaboration du Courtauld institute pour mettre en œuvre la technique de luminescence infra-rouge servant à repérer le bleu égyptien, même à l’état de trace. Les analyses sur prélèvements en spectrométrie Raman ont permis de confirmer la présence de bleu égyptien, mais celles en spectrométrie de fluorescence de rayons X sont encore en cours.

« Découvrir une mèche du chignon de la Victoire ».

Ludovic Laugier, Ingénieur d’études au Département des antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre, l’un des trois commissaires de la restauration.

Avant toute opération, le monument est entièrement ausculté au vidéo microscope, sous infrarouges. L’équipe des restaurateurs effectue ensuite plusieurs micro-tests sur des parties très réduites et peu visibles. Les différentes options (temps de pose de la compresse et dosage de l’éventuel produit actif) sont soumises à la commission scientifique internationale. En concertation, il est décidé de la méthode de nettoyage adaptée. Il s’agit aussi toujours de tenir compte de la relative fragilité du matériau à traiter.

D’infimes traces de bleu, totalement invisibles à l’œil nu, ont pu être repérées qui permettent d’affirmer que la statue était partiellement polychrome. On ne trouvait pas de trace de polychromie visible à l’œil nu et aucun document ancien n’en faisait mention. Comme d’autres, il était probable que l’œuvre ait été toutefois peinte. C’est donc très heureux que nous ayons pu faire cette découverte grâce à des techniques très novatrices. Une mèche du chignon de la Victoire est également apparue sous un bouchage en plâtre moderne. Une restauration permet de mieux connaître une œuvre et ces découvertes en sont une nouvelle fois la preuve.

Nous poursuivons le travail de restauration qui devrait se terminer en avril. Il s’agira ensuite de remonter les 23 blocs qui constituent la base du monument en forme de proue de navire, une opération délicate qui demandera toute notre attention. Ensuite, l’oeuvre sera rendue à son public au début de l’été.

« Faire découvrir aux jeunes les coulisses de ce chantier ».

Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac et mécène historique du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du Louvre.

Lorsque Henri Loyrette, puis Jean-Luc Martinez, m’ont sollicité, il m’a semblé impensable de ne pas répondre présent et de ne pas apporter ma pierre à cet immense chantier, si riche en significations. Avec deux autres mécènes, nous avons apporté 3 millions d’euros pour cette restauration, le dernier million étant réuni grâce à une campagne de dons. Cette mobilisation du public, avec plus de 6700 donateurs, montre le vif attachement des Français à leur patrimoine. J’ai pour ma part, toujours été très attaché à soutenir des projets scientifiques, même s’ils peuvent parfois sembler a priori difficiles ou confidentiels : l’exposition consacrée au maître de la sculpture antique Praxitèle, qui a finalement connu un grand succès auprès du public, la restauration du Gladiateur Borghèse et de la Vénus Genitrix. La restauration d’une icône telle que la Victoire de Samothrace est un pas supplémentaire parce qu’elle incarne l’ambition du musée de mettre en valeur un chef d’œuvre de l’humanité pour le rendre accessible au plus grand nombre. J’ai été très touché de pouvoir personnellement assister à cet événement exceptionnel que fut le déplacement de la Victoire de Samothrace pour rejoindre sa cabine de restauration. Lorsque cette grande dame a été soulevée, avec lenteur et une infinie précaution, j’ai réalisé avec beaucoup de fierté ce que cela représentait pour le musée du Louvre, mais aussi plus généralement pour la France et pour le monde entier. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé en 2006 la fondation « Culture et diversité » : pour faire partager aux jeunes cette chance d’accéder à la culture et aux pratiques artistiques. Le soutien de Fimalac à la restauration de la Victoire de Samothrace permet d’ailleurs aux élèves de la fondation Culture & Diversité de découvrir les coulisses de ce chantier exceptionnel et de rencontrer les équipes de restauration dans le cadre de visites guidées. 

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