Droit d’auteur, droit à la copie

22/10/2010 à 05h34, Auteur : rédac-rss // internet-high tech-informatique

L’application de la « redevance pour copie privée » aux supports de reproduction acquis par des entreprises et des professionnels à des fins autres que la copie privée n’est pas conforme au droit de l’Union
Une telle redevance peut être appliquée à de tels supports lorsqu’ils sont susceptibles d’être utilisés par des personnes physiques pour leur usage privé
Aux termes de la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information1, le droit exclusif de reproduction de matériel sonore, visuel ou audiovisuel appartient aux auteurs, aux artistes interprètes et aux producteurs. Néanmoins, les États membres peuvent autoriser la réalisation de copies privées à la condition que les titulaires du droit reçoivent une « compensation équitable ». Celle-ci doit contribuer à ce que les titulaires des droits perçoivent une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs oeuvres ou autres objets protégés.
La législation espagnole transposant la directive a permis la reproduction des oeuvres déjà divulguées lorsqu’elle est réalisée par une personne physique pour son usage privé et à partir d’oeuvres auxquelles elle a accédé légalement. Dans ce cadre, une compensation unique, déterminée pour chaque mode de reproduction, sous la forme d’une « redevance pour copie privée » doit être versée par les fabricants, importateurs ou distributeurs aux sociétés de gestion collective des droits de propriété intellectuelle.
La Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE), société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle en Espagne, a réclamé à la société PADAWAN, qui commercialise des CD-R, CD-RW, DVD-R et appareils MP3, la « redevance pour copie privée » pour les supports numériques commercialisés entre 2002 et 2004. Estimant que l’application de cette redevance –indépendamment de l’usage privé, professionnel ou commercial des supports – était contraire à la directive, PADAWAN a refusé de la payer. En première instance, elle a été condamnée au paiement d’un montant de 16 759, 25 euros.
L’Audiencia Provincial de Barcelona (Audience Provinciale, Espagne), saisie du recours de PADAWAN, a demandé, en substance, à la Cour de justice quels sont les critères à prendre en considération pour déterminer le montant et le système de perception de la « compensation équitable ».
Dans son arrêt rendu ce jour, la Cour observe que la « compensation équitable » doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par l’auteur pour la reproduction non autorisée de son oeuvre protégée. Ce préjudice constitue, dès lors, le critère de base pour le calcul de son montant. En outre, la Cour relève que la directive demande qu’un « juste équilibre » soit maintenu entre les titulaires des droits et les utilisateurs des objets protégés. Il incombe donc, en principe, à la personne qui a réalisé une telle reproduction pour son usage privé de réparer le préjudice en finançant la compensation qui sera versée au titulaire.
Certes, d’une part, le préjudice découlant de chaque utilisation privée considérée individuellement, pourrait s’avérer minime et ne pas créer une obligation de paiement et, d’autre part, des difficultés
1 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).
pratiques pour identifier les utilisateurs privés, ainsi que pour les obliger à indemniser les titulaires des droits, pourraient se présenter. Dans ces conditions, il est loisible aux États membres d’instaurer une « redevance pour copie privée » à la charge des personnes qui disposent d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique. En effet, l’activité de ces personnes – à savoir la mise à la disposition des utilisateurs privés d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction, ou le service de reproduction qu’ils rendent – constitue la prémisse factuelle nécessaire pour que les personnes physiques puissent obtenir des copies privées. D’ailleurs, rien ne fait obstacle à ce que le montant de la redevance soit répercuté sur le prix des supports de reproduction ou du service de reproduction, de sorte que, en définitive, les utilisateurs privés en assument la charge afin que les exigences du « juste équilibre » soient respectées.
Ensuite, la Cour constate qu’un système de « redevance pour copie privée » n’est compatible avec ce « juste équilibre » que lorsque les équipements, appareils et supports de reproduction en cause sont susceptibles d’être utilisés à des fins de copie privée et, partant, de causer un préjudice à l’auteur de l’oeuvre protégée. En effet, elle estime qu’il existe un lien nécessaire entre l’application de la « redevance pour copie privée » et l’usage à des fins de reproduction privée.
Par conséquent, l’application sans distinction de la redevance à l’égard de tous les types d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique, y compris dans l’hypothèse où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée, n’est pas conforme à la directive.
En revanche, dès lors que les équipements en cause ont été mis à la disposition des personnes physiques à des fins privées, il n’est nullement nécessaire d’établir que celles-ci ont effectivement réalisé des copies privées et ont, ainsi, effectivement causé un préjudice à l’auteur de l’oeuvre protégée. Ces personnes physiques sont légitimement présumées bénéficier intégralement de cette mise à disposition, c’est-à-dire qu’elles sont censées exploiter la plénitude des fonctions associées auxdits équipements2, y compris celle de reproduction. Ainsi, la simple capacité de ces équipements ou de ces appareils à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée, à la condition que lesdits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés.
Enfin, la Cour rappelle qu’il incombera au juge national, à la lumière des réponses apportées, d’apprécier si le système espagnol de « redevance pour copie privée » est compatible avec la directive.
RAPPEL : Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
Document non officiel à l’usage des médias, qui n’engage pas la Cour de justice.
Le texte intégral de l’arrêt est publié sur le site CURIA le jour du prononcé.
Contact presse : Marie-Christine Lecerf

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