Le Pèlerinage à l’île de Cythère

12/12/2015 à 07h20, Auteur : rédac-rss // Sorties-Loisirs-Culture

Décors champêtres, jeunes gens élégants et loisirs raffinés : l’exposition Dansez, embrassez qui vous voudrez présentée au Louvre-Lens, à partir du 5 décembre, célèbre les thèmes de la Fête galante et de la Pastorale, popularisés par Antoine Watteau puis François Boucher au 18e siècle. Xavier Salmon, commissaire de l’exposition et directeur du département des Arts graphiques au musée du Louvre, commente Le Pèlerinage à l’île de Cythère, chef d’oeuvre d’Antoine Watteau, exposé au Louvre-Lens à cette occasion.

L’exposition du Louvre-Lens est consacrée au thème de la Fête galante et de ses déclinaisons dans l’art. Quel rôle a joué le tableau Pélérinage à l’île de Cythère de Watteau, dans la création de ce thème ?

 

Xavier Salmon : Ce tableau, lorsqu’il est présenté par Antoine Watteau comme morceau de réception en 1717 pour être admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture, a été d’abord nommé Pélérinage à l’île de Cythère dans le procès verbal de la séance de réception. Peu de temps après, ce titre a été rayé et remplacé par l’intitulé : Feste galante. C’est la première fois que, dans un cadre académique et dans la littérature artistique, cette thématique apparaît sous l’intitulé de Fête galante. Elle va être réutilisée pour deux autres artistes : Jean-Baptiste Pater et Pierre-Antoine Quillard et ensuite n’apparaîtra plus jamais dans la littérature et les documents administratifs du temps. C’est un sujet qui a un peu désarçonné les Académiciens car c’est la première fois qu’un artiste présentait ce type de thème. Lorsque Watteau livre son tableau, il livre un sujet de peinture d’histoire en mêlant l’allégorie - incarnée par des personnages appartenant au monde de la divinité comme Vénus, Cupidon, les Zéphyrs, qui ont conduit la déesse vers l’Ile de Cythère après sa sortie de l’écume de la mer - et les hommes, qui conduisent la barque, complètement nus et qui correspondent, avec cette nudité héroïque, aux critères de la peinture d’histoire. A ces personnages de la mythologie, de l’allégorie, Watteau mêle des êtres de chair et de sang qui, dans une farandole, symbolisent la naissance du sentiment amoureux jusqu’à son accomplissement et le voyage vers Cythère. C’est un tableau avec les dimensions d’un sujet de peinture d’histoire qui mêle, comme l’ont fait un certain nombre d’artistes contemporains ou qui ont précédé Watteau, l’allégorie à la réalité. C’est en cela que le tableau a pu troubler les Académiciens qui n’étaient pas du tout accoutumés à ce type de sujet.

 

La scène représentée est riche en détails Pouvez-vous nous l’expliquer ?

X. S. : C’est une scène qui se lit de la droite vers la gauche et qui, à l’aide de cette farandole, qui est presque une portée musicale - chaque couple incarnant une note - incarne également une étape dans le sentiment amoureux. Le couple le plus à droite, disposé sous la statue de Vénus, réunit trois personnages : un galant qui tente de séduire une jeune femme qui ne le regarde pas, puisqu’elle échange un regard avec Cupidon. Celui-ci apparaît sous la forme d’un enfant qui se trouve à ses pieds. Il porte la pèlerine, cette petite cape qui lui protège les épaules, il est fesses nues et assis sur un carquois avec des flèches, ce qui révèle sa condition de dieu et en l’occurrence sa condition de Cupidon. Il tire sur la robe de la jeune femme pour l’inviter à répondre aux avances du galant. Un autre couple se trouve juste à côté, avec une jeune femme qui, cette fois-ci, est présentée de dos, va se lever, et est aidée par son galant pour prendre la direction de la barque. Le troisième couple prend, lui, la direction de la barque, avec cette fois-ci une jeune femme qui se tourne vers les deux couples précédents, peut être parce qu’elle hésite encore à répondre au sentiment amoureux, ou parce qu’elle est nostalgique du moment où naît ce sentiment. Il y a une dimension très poétique dans la peinture de Watteau, qui est ici perceptible grâce à ces trois couples. La composition révèle aussi la manière dont l’artiste travaille : il tourne autour de ses personnages pour multiplier les angles de vue, comme il le fait lorsqu’il dessine ses modèles. Ainsi, dans ce tableau, il présente un couple de face, un couple de dos, et un couple de trois-quart. Watteau est comme présent dans la peinture, virevoltant autour de ces couples d’amoureux.

A quoi reconnaît-on le style d’Antoine Watteau dans ce tableau ?

X. S. : Le tableau a été peint extrêmement rapidement parce que Watteau a beaucoup tardé à rendre son morceau de réception. C’est probablement sous la menace qu’il a peint cette œuvre car l’Académie lui avait indiqué que s’il ne donnait pas son morceau de réception à ce moment-là, il perdrait son agrément. Comme le tableau a été peint très vite, la couche picturale est extrêmement fine, très fluide, riche en liants, ce qui permettait à la peinture de sécher beaucoup plus vite. Il y a un très bel ensemble de camaïeu de verts, de bruns qui mettent très bien en valeur l’ensemble des personnages et cet arrière-plan, occupé par ces montagnes représentées à la manière de Léonard de Vinci, qui sont presque transparentes avec des bleus et des blancs. La touche est extrêmement libre, en particulier dans le traitement du paysage, et beaucoup plus précise dans l’exécution des personnages avec une gamme chromatique emblématique de la manière de Watteau, dans un tableau qui est très bien conservé. L’artiste hésitait beaucoup au moment où il exécutait ses œuvres. Il modifiait ainsi souvent ses compositions sans attendre que les sous-couches sèchent. Dans ce cas, nous avons un tableau avec un état de conservation exceptionnel, très bien mis en valeur au Louvre-Lens parce qu’il est accroché plus bas qu’au musée du Louvre et qu’il est éclairé avec beaucoup de délicatesse, ce qui fait chatoyer ses tons et ses couleurs.

Qu’est devenu ce tableau après avoir été présenté à l’Académie Royale ?

X. S. : L’Académie siégeait dans le Palais du Louvre. De 1717 à nos jours, le tableau est toujours resté au Louvre. Il en est sorti deux fois. La première fois en 1984, lorsque la rétrospective Antoine Watteau a été organisée au Grand Palais. Et aujourd’hui, c’est la première fois qu’il sort de Paris et qu’il est montré au Louvre-Lens. En cela aussi, c’est un événement. Le public du Nord de la France mais aussi du Nord de l’Europe peut voir cette œuvre absolument emblématique de la Régence, du début du 18e siècle, de ce changement de tempérament, d’attitude du public et des artistes qui aspirent, après la période un peu difficile de la fin du règne de Louis XIV correspondant à un enfermement religieux du souverain et de son épouse Mme de Maintenon, à davantage de liberté que la Régence va leur donner.

Quelle a été la postérité du thème de la Fête galante ?

X. S. : C’est un thème qui s’est développé après l’exemple de Watteau, d’une part sous le pinceau et crayon de ses deux élèves : Jean-Baptiste Pater et Pierre-Antoine Quillard, et d’autre part, de ses suiveurs comme Nicolas Lancret, Jacques-André Portail, et comme de nombreux autres artistes du 18e siècle qui ont fait glisser ce thème d’un sujet d’histoire, vers une description d’un sentiment humain dans une dimension intemporelle, qui échappe aux classes sociales car la farandole comprend certes des seigneurs mais aussi des gens du peuple. Le sentiment amoureux est d’abord universel. Ses suiveurs, ses élèves ont davantage décrit ces sujets de fêtes galantes, de pastorales, de kermesses populaires, dans une dimension empruntée à l’art du Nord, à l’art de la Flandre ou de la Hollande avec un côté plus pittoresque, plus anecdotique qui répond davantage à la « scène de genre ». Le thème a reçu cet immense succès parce que les artistes nordiques étaient très recherchés. Les français, pour pouvoir répondre au goût des commanditaires du temps, ont francisé ces sujets nordiques pour y introduire l’élégance à la française.

 

L’exposition au Louvre-Lens

Décors champêtres, jeunes gens élégants et loisirs raffinés : l’exposition Dansez, embrassez qui vous voudrez. Fêtes et plaisirs d’amour au siècle de Madame de Pompadour au Louvre-Lens célèbre le thème de la Fête galante et de la Pastorale. Popularisés par Antoine Watteau puis François Boucher dans la première moitié du 18e siecle, ces sujets connurent un grand succès jusqu’à la Révolution. D’abord adoptés par les peintres, ils se propagèrent rapidement à d’autres disciplines – notamment les Arts décoratifs – et se diffusèrent a travers toute l’Europe. Grâce aux prêts exceptionnels du musée du Louvre et d’une vingtaine d’institutions prestigieuses, l’exposition réunit 220 oeuvres, du 5 décembre au 29 février. Dans une scénographie bucolique, elle mêle peintures, arts graphiques, mobilier, céramiques, tapisseries ou encore costumes de scène. Depuis les sources jusqu’aux derniers développements, elle retrace la fortune d’un art délicat et séduisant, qui enchanta l’Europe du Siècle des Lumières.

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