Protocole de Kyoto, le rapport

21/12/2010 à 06h19, Auteur : rédac-rss // Droit, Finances, assurances

 

La conférence de Copenhague, parce qu’elle n’a pas permis l’adoption d’un traité international sur le changement climatique pour la période après 2012, a suscité de la déception. L’accord de Copenhague négocié par vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement est de nature politique. Il définit de grandes orientations et esquisse un équilibre entre les engagements des pays en développement à mener des actions de lutte contre le changement climatique et le soutien que leur apporteront les pays développés. Il représente un compromis a minima entre des pays aux positions très éloignées et n’a pas de portée juridique contraignante.
Les défis de la conférence de Cancun qui se tiendra du 29 novembre au 10 décembre 2010 sont donc nombreux.
Ils concernent bien entendu le changement climatique, puisqu’il devient véritablement urgent d’obtenir un accord sur les différents volets du futur régime international, susceptible d’entrer en vigueur le 1er janvier 2013, date d’expiration de la première période d’engagement du protocole de Kyoto. La communauté internationale doit se donner les moyens d’atteindre l’objectif de limitation du réchauffement à 2°C recommandé par le groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) et validé par l’accord de Copenhague.
Cependant, de l’avis général, Cancun ne permettra pas l’adoption d’un traité global et les perspectives d’adoption d’un tel accord d’ici 2013 sont incertaines, du fait notamment de l’évolution de la situation interne des Etats-Unis. L’adoption d’une législation interne sur le climat, qui conditionne leur engagement international, paraît en effet hautement improbable d’ici 2013. En outre, les négociations, notamment lors des dernières sessions de Bonn et de Tianjin, n’ont pas permis de dépasser les blocages de Copenhague sur les engagements et les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur la forme juridique que prendrait le futur accord, deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto, qui ne concerne que les pays développés, ou accord global incluant les pays en développement, en particulier les Etats émergents. La Chine en particulier, premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, continue à refuser toute notion d’engagement contraignant et de vérification internationale en matière de réduction des émissions.
Les attentes de l’Union européenne pour Cancun sont plus limitées que pour la conférence de Copenhague, puisque Cancun est considérée comme une conférence d’étape, devant permettre l’adoption d’un ensemble de décisions équilibré. Les décisions espérées à Cancun devraient ouvrir la voie à une mise en oeuvre concrète des orientations politiques de l’accord de Copenhague. Tout l’enjeu sera donc de définir un équilibre global et de progresser sur les différents volets de la négociation, qu’il s’agisse de l’atténuation et du système de mesure, notification et vérification (MRV) des engagements ou du soutien financier aux actions dans les pays en développement, notamment en matière de lutte contre la déforestation.
La conférence de Cancun est également perçue par beaucoup comme un test de la capacité du système des Nations unies et du multilatéralisme à permettre des progrès en matière d’environnement et de climat.Après Copenhague, on a assisté à une remise en cause du cadre des Nations unies et de la méthode du consensus. Des partenariats thématiques se sont créés entre des groupes d’Etats volontaires en marge des négociations onusiennes. Certains ont permis des progrès importants : le partenariat REDD+ (réduction des émissions liées à la déforestation et au déboisement), mis en place en mai 2010 à l’initiative de la France et de la Norvège, a permis un engagement financier des Etats développés de 4 milliards de dollars pour la période 2010-2012 et le développement de projets concrets dans les grands bassins forestiers des pays en développement. La thématique REDD+ est l’un des sujets qui pourrait faire l’objet d’un accord à Cancun.
La conférence de Nagoya sur la biodiversité qui s’est tenue en octobre 2010 a depuis montré qu’il était encore possible d’obtenir un accord mondial à l’unanimité en matière d’environnement. Il ne faut cependant pas ignorer les spécificités des négociations sur le climat, qui sont liées à des enjeux économiques immenses. Les Etats accepteront-ils à Cancun de jouer le jeu du multilatéralisme comme l’Union européenne le souhaite ? Elle repose elle-même sur un modèle multilatéral mais son exemplarité n’a pas eu jusqu’à maintenant l’effet d’entraînement escompté sur les autres Etats.
La question du financement des actions des pays en développement est cruciale. En particulier, la mise en œuvre du financement d’urgence de 30 milliards de dollars décidé à Copenhague pour la période 2010-2012 doit permettre de recréer de la confiance entre pays du Nord et pays du Sud. Les réflexions sur le financement de long terme et sur les sources potentielles doivent aussi ouvrir des perspectives aux pays en développement. Bien qu’il s’agisse d’un sujet difficile, la question des financements innovants, et en particulier d’une taxe sur les transactions financières dont une partie des recettes pourrait être affectée aux actions climatiques, devrait être portée au plus haut niveau politique.
PREMIERE PARTIE :
LES DEFIS DE L’APRES-COPENHAGUE
I. UN RESULTAT DECEVANT PAR RAPPORT AUX AMBITIONS DE L’UNION EUROPEENNE
Signé par un groupe représentatif de vingt-huit chefs d’Etats et de gouvernement(2), l’accord de Copenhague est un accord politique de trois pages, qui n’a pas pu être adopté par la Conférence des Parties (COP) réunie à Copenhague, en raison de l’opposition de quelques Etats (Venezuela, Nicaragua, Bolivie, Arabie Saoudite, Cuba et Soudan). La Conférence des Parties a simplement « pris note » de l’accord, qui n’a donc pas de portée juridique.
La Conférence de Copenhague n’a pas permis la conclusion d’un accord juridiquement contraignant sur le régime qui succèdera au protocole de Kyoto à partir du 1er janvier 2013. L’accord lui-même ne fixe pas d’échéance pour la conclusion d’un traité. La Conférence des Parties a décidé de prolonger les mandats des deux groupes de travail ad hoc au titre de la Convention sur le changement climatique (Ad hoc working group on long term cooperative action under the convention ou AWG-LCA) et du protocole de Kyoto (Ad hoc working group on further commitments for annex I parties under the Kyoto Protocol ou AWG-KP).
A. Un accord politique a minima 
Négocié à la fin de la Conférence de Copenhague et en marge de la COP, l’accord de Copenhague est un compromis entre des Etats ayant des positions très éloignées, alors que les négociations de la COP n’avaient pu aboutir à un texte commun. Les grandes lignes de l’accord concernent :
1. Les objectifs d’atténuation  : l’accord fixe un objectif de limitation du réchauffement climatique en dessous de 2°C, conformément aux recommandations du GIEC, et reconnaît la nécessité d’atteindre le pic des émissions le plus rapidement possible.
Cependant, l’accord ne fixe aucun objectif de réduction des émissions d’ici 2050 ni d’échéance pour le pic des émissions.
Aucun objectif de moyen terme (2020) n’est fixé, l’accord indiquant seulement que les Etats développés devront déclarer leurs objectifs au secrétariat de la Convention avant le 31 janvier 2010 et renforcer ces objectifs par rapport au protocole de Kyoto. Les Etats en développement devront mener des actions d’atténuation (pour les pays les moins avancés et les petits Etats insulaires, il ne s’agit pas d’une obligation) et les communiquer dans les mêmes délais. Ces engagements seront inclus dans les deux annexes de l’accord.
Le GIEC estime que l’objectif de 2°C implique une baisse globale de 50 à 85 % des émissions en 2050. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic en 2015, puis reculerde 25 à 40 % dans les pays développés et dévier de façon importante dans les pays en développement par rapport à la tendance actuelle.
2. L’adaptation : l’accord reconnaît la priorité à donner à l’adaptation au changement climatique dans les pays en développement, en particulier les plus vulnérables (les pays les moins avancés, les petits Etats insulaires et les pays d’Afrique) et la nécessité d’un programme global d’adaptation incluant des aides financières.
3. Le financement : les pays développés s’engagent à fournir des ressources nouvelles et additionnelles pour la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Celles-ci s’élèvent à 30 milliards de dollars pour la période 2010-2012. Il s’agit du financement à mise en œuvre rapide dit financement Fast start.
D’ici 2020, l’objectif collectif des pays développés est de consacrer 100 milliards de dollars par an à la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Pour cela, différentes sources de financement sont citées : publiques, privées, bilatérales et multilatérales. Il est fait référence à la création d’un « Fonds vert mondial » qui devra assurer une part significative de ces financements. Un groupe de haut niveau sera créé pour étudier les sources potentielles de revenus, dont les sources alternatives.
4. Le transfert de technologies : l’accord prévoit la création d’un mécanisme pour accélérer le développement et le transfert de technologies.
5. La réduction de la déforestation : la création d’un mécanisme permettant de mobiliser des financements des pays développés en faveur de la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts, incluant l’initiative REDD+, est jugée nécessaire.
6. La gouvernance : Les réductions d’émissions et le financement des Etats développés feront l’objet d’un système de mesure, notification et vérification (measure, reporting and verification ou MRV) « rigoureux, robuste et transparent ».
Les mesures d’atténuation des pays en développement seront mesurées, notifiées et vérifiées au niveau national et feront l’objet de communications nationales tous les deux ans. Il n’y aura donc pas de contrôle par le secrétariat de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) comme c’est le cas pour les pays de l’annexe I du protocole de Kyoto.
Seules les actions d’atténuation des pays en développement susceptibles de faire l’objet de financements internationaux seront inscrites dans un registre international et soumises à un système de contrôle international.
7. Un réexamen de l’accord est prévu en 2015, ce qui rend possible un renforcement des objectifs chiffrés au regard du prochain rapport du GIEC qui sera présenté en 2014.
L’accord, qui fixe des objectifs et des orientations à l’échelle globale, en particulier sur la réduction des émissions et sur le financement en faveur des pays en développement, comporte certaines avancées qui n’avaient pas pu être obtenues dans les négociations onusiennes : l’objectif de 2°C, l’enregistrement des objectifs d’atténuation des pays développés et des actions des pays en développement, des orientations sur le dispositif de MRV, la mise en œuvre de financements, en particulier à court terme.
Cependant, il est très en deçà des attentes de l’Union européenne, qui souhaitait l’obtention d’un accord global, ambitieux et juridiquement contraignant. Il représente un compromis a minima sur les principes d’un futur régime encore à définir. Le texte de l’accord est en effet vague et peu détaillé. Comme le souligne une étude récente de la Caisse des dépôts (CDC climat)(3), « L’accord signé à Copenhague rompt avec la logique de Kyoto. Il introduit un système d’engagements à géométrie variable, déterminé en fonction des objectifs de chaque pays, sans lien explicite avec les mécanismes économiques facilitant leur atteinte. »
De plus, le fait que la COP ait simplement « pris note » de l’accord rend son statut très incertain. C’est pourquoi l’un des défis de la Conférence de Cancun est d’ancrer les principes de l’accord dans les négociations onusiennes et de parvenir à des décisions de la COP reprenant et précisant ces principes.
B. Les raisons de la déception
La conférence de Copenhague a donné lieu à de très nombreux commentaires et à différentes interprétations. Comment expliquer le résultat décevant de Copenhague ?
1. Le poids des intérêts et des situations nationales, en particulier pour les deux principaux émetteurs, la Chine et les Etats-Unis, s’est exercé au détriment d’une approche collaborative multilatérale, qui a toujours été promue par l’Union européenne. L’accord de Copenhague marque les limites de l’idée d’un ordre juridique international imposant des contraintes aux Etats et de l’approche « top-down ».
L’un des éléments expliquant l’absence d’accord à Copenhague est bien entendu la situation interne des Etats-Unis, pour qui il est impossible de s’engager internationalement sans l’adoption préalable d’une législation interne par le Congrès. L’administration souhaite éviter la répétition de l’échec du protocole de Kyoto, qui avait été signé par l’exécutif mais auquel le Sénat s’était ensuite opposé. La lutte contre le changement climatique était l’un des engagements de M. Barack Obama pendant sa campagne électorale et dès son élection, il a affirmé la volonté de la nouvelle administration de favoriser un réengagement des Etats-Unis dans les négociations internationales sur le climat.
Si la Chambre des représentants a adopté un projet de loi fixant un objectif de réduction des émissions et créant un marché fédéral du carbone, le projet Waxman-Markey en juin 2010(4), le processus au Sénat n’avait pas abouti avant la conférence de Copenhague. Or la position du Sénat est déterminante pour l’administration car 67 voix sur 100 sont nécessaires pour obtenir la ratification d’un accord international sur le climat.
Le Président Obama avait indiqué à Copenhague que l’engagement des son pays ne pourrait pas aller au-delà des 17 % approuvés par la Chambre des représentants (soit seulement une réduction de 3,67 % par rapport à 1990, l’année de référence du protocole de Kyoto) et que l’objectif final dépendrait de la législation adoptée par le Congrès. Par ailleurs, les Etats-Unis ont manifesté dans les négociations des attentes fortes vis-à-vis des pays émergents et du système MRV.
De son côté, la Chine s’est montrée extrêmement réticente dans les négociations, refusant toute notion d’engagement contraignant. Le sommet de la coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui s’était tenu quelques jours avant Copenhague, au terme duquel la Chine et les Etats-Unis avaient affirmé qu’il n’y aurait pas de traité conclu à Copenhague, avait déjà suscité la crainte d’un intérêt commun des deux puissances à l’absence d’un accord mondial contraignant sur le climat, et d’un « G2 » entre les deux pays, capable de bloquer les négociations.
D’autre part, les négociations ont été marquées par une forte défiance entre les pays en développement et les pays développés, les premiers exigeant des seconds des engagements élevés en matière de réduction des émissions et de financement, en se fondant sur leur responsabilité historique et les impératifs du développement, tandis que les pays développés demandaient une différenciation entre les pays en développement et les pays émergents, en considérant que ces derniers devaient prendre des engagements de réduction des émissions, compte tenu de leur part dans les émissions mondiales.
2. La conférence de Copenhague a également mis en exergue le poids désormais considérable des grands pays émergents, en particulier de la Chine qui a cherché à éviter toute contrainte. La rédaction de l’accord de Copenhague reflète cette volonté : les actions d’atténuation des pays en développement ne seront pas soumises à un système de MRV international. Toutefois, comme le souligne un article de l’IDDRI(5), ces pays ont fait une concession en acceptant la référence à des « consultations et des analyses au niveau international » dans le paragraphe consacré à la communication des mesures d’atténuation.
3. Les négociations ont une très forte dimension économique, et sont liées à des enjeux considérables en matière de compétitivité, de technologies, de transition énergétique. L’importance de ces enjeux s’est notamment manifestée par l’émergence de la notion d’intensité carbone (volume des émissions par rapport au PIB), utilisée par la Chine et par l’Inde pour exprimer leurs objectifs nationaux. Cet indicateur souligne le lien fait par ces pays entre les impératifs de la lutte contre le changement climatique et la nécessité de préserver leurs perspectives de croissance et de développement économique.
4. L’organisation des négociations a fait l’objet de critiques. Le fait que la séquence avec les chefs d’Etat et de gouvernement soit intervenue à la fin de la Conférence a favorisé l’attentisme, dans l’hypothèse d’un dénouement in extremis. Les différentes étapes préalables des négociations n’ont donc pas permis de progresser vers un texte commun et ce sont les chefs d’Etat et de gouvernement eux-mêmes qui ont dû rédiger l’accord de Copenhague en marge de la COP. Au terme de 15 heures de discussion, celle-ci n’a pas pu approuver l’accord et en a simplement pris note.
Plus largement, Copenhague a abouti à une remise en cause du système des Nations unies, s’appuyant en particulier sur des critiques de la règle du consensus à 192 pays.
Il n’était de toute façon pas envisageable d’obtenir un accord sans la volonté des deux principaux émetteurs, la Chine et les Etats-Unis. Depuis, la conférence de Nagoya sur la biodiversité, qui s’est tenue du 18 au 29 octobre dernier, a montré qu’il était possible d’obtenir un accord mondial juridiquement contraignant en matière d’environnement. Les négociations sur le climat occupent une place particulière dans le multilatéralisme environnemental, du fait de leurs enjeux économiques considérables et les difficultés actuelles doivent être analysées dans ce contexte. La création d’une organisation mondiale de l’environnement, souhaitée par la France dans la perspective du sommet de la terre « Rio+20 » qui se tiendra à Rio en mai 2012, permettrait de mieux intégrer les enjeux environnementaux dans la gouvernance mondiale.
Après Copenhague, on a assisté à la multiplication des partenariats et réunions thématiques entre des groupes d’Etat, menant des dialogues en dehors du processus onusien : processus Paris-Oslo sur les forêts à l’initiative de la France et de la Norvège, partenariat sur le MRV à l’initiative de l’Allemagne, sur les technologies à l’initiative des Etats-Unis, « dialogue de Genève » sur le financement de long terme à l’initiative de la Suisse et du Mexique…etc. Les négociations dans le cadre de la CCNUCC ont parallèlement repris. Après la déception de Copenhague, il semble de nouveau aujourd’hui y avoir un accord sur le fait que les Nations unies restent le cadre indispensable de la coopération internationale en matière de climat, les partenariats intervenant de façon complémentaire pour faire avancer différents sujets.
5. L’Union européenne a eu des difficultés à peser dans les négociations.
Depuis l’adoption du paquet énergie-climat en décembre 2008, sous présidence française, l’Union européenne s’était placée en leader et en exemple de la lutte contre le changement climatique. A cet égard, la Conférence de Copenhague représente une double déception :
la position ambitieuse de l’UE n’a pas eu l’effet d’entraînement escompté sur les autres pays émetteurs de gaz à effet de serre ; l’Union n’a pas réussi à peser face aux Etats-Unis et aux pays émergents, ni à créer de la confiance avec les pays en développement. Malgré ses efforts très importants au plan interne, elle a été critiquée par ces pays en raison de sa position ambiguë sur le protocole de Kyoto. Elle n’avait en effet pas réussi avant Copenhague à arrêter une position claire sur l’instrument juridique du futur accord, deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto ou nouveau traité mondial incluant les pays en développement. L’offre conditionnelle des 30 % et les désaccords entre Etats membres sur cette question ont également affaibli la position européenne. Enfin, la communication sur le paquet énergie-climat, dont les objectifs sont extrêmement ambitieux et qui met en œuvre toute une série d’instruments novateurs pour les atteindre, a sans doute été insuffisante.
Ce manque d’influence internationale de l’Union s’inscrit dans une problématique plus générale. Comme le souligne le rapport d’information de Mme Elisabeth Guigou et M. Yves Bur sur le service européen d’action extérieure(6), « l’Union européenne pensait que l’exemplarité de son modèle multilatéral régional lui donnerait la légitimité pour exercer une influence décisive dans la régulation et la gouvernance mondiales. Or la multipolarité n’a pas favorisé le multilatéralisme ni la coopération, mais plutôt le retour de la géopolitique traditionnelle sur la scène internationale. »
- l’Union européenne a peiné à parler d’une seule voix à Copenhague. Trois grands Etats (l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France) ont participé activement à la négociation de l’accord de Copenhague mais l’Union en tant que telle a eu des difficultés à défendre ses intérêts.
Cette question doit être analysée dans le contexte plus large de la représentation internationale de l’Union européenne. Le traité de Lisbonne introduit plusieurs nouveautés à cet égard, avec l’institution d’un président stable du Conseil européen, d’un haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi que d’un service européen d’action extérieure. Cependant, la question de la représentation de l’Union européenne dans les négociations internationales n’a pas été clarifiée.
Les modalités de cette représentation pour les négociations environnementales varient selon les conventions. Par exemple, la Commission européenne est responsable des négociations sur la convention de Montréal sur la protection de la couche d’ozone, tandis que pour d’autres accords, la Commission et le Conseil interviennent conjointement. Pour les négociations sur le climat, c’est la présidence tournante du Conseil qui négocie. La Commission est cependant très présente, dans le cadre de sa fonction d’initiative. Dans la pratique, cette situation manque de clarté et risque de réduire la capacité d’influence de l’Union.
Une autre difficulté, soulevée par Mme Connie Hedegaard, commissaire à l’action pour le climat, lors de son audition par les rapporteurs, est que le mandat de négociation adopté par le Conseil pour Copenhague était excessivement détaillé et ne laissait que peu de marges aux négociateurs. Les mandats sont en outre transparents, les conclusions du Conseil étant publiques, ce qui ne facilite pas le travail de négociation. Cette situation s’explique par les modalités de décision internes de l’Union : le mandat reflète un compromis négocié à 27 et l’approche comme la procédure s’inspirent de l’action normative de l’Union européenne, alors que des négociations internationales sont d’une tout autre nature.
II. LES OBJECTIFS TRANSMIS MONTRENT UNE LARGE ACCEPTATION DE LA DEMARCHE MAIS UN NIVEAU D’AMBITION TOUJOURS INSUFFISANT
A ce jour, 140 pays ont exprimé leur soutien à l’accord de Copenhague. Les pays ayant communiqué leurs offres de réduction et leurs actions nationales représentent 80 % des émissions mondiales, alors que le protocole de Kyoto couvre seulement 30 % de ces émissions. Cependant, en l’absence d’accord juridique, ces engagements n’ont pas de dimension contraignante comme l’ont les objectifs des pays de l’annexe I dans le cadre du protocole.
Tous les pays de l’annexe I, à l’exception de la Turquie, ont communiqué leurs engagements. A quelques exceptions près(7), les offres de réduction des émissions n’ont pas évolué par rapport à la Conférence de Copenhague.
Engagements de réduction des émissions des pays de l’annexe I
du protocole de Kyoto
Pays partie à
l’annexe I
Objectif de réduction des émissions en 2020
Année de référence
Objectif par rapport à 1990
Australie
-5 à -15 % ou -25 %
2000
+13 à -11 %
Biélorussie
-5 à -10 %
1990
 
Canada
-17 %
2005
+3%
Croatie
-5 %
1990
 
Etats-Unis
-17 %
2005
-3,67 %
Islande
-30 %
1990
 
Japon
-25 %
1990
 
Kazakhstan
-15 %
1990
 
Liechtenstein
-20 %/-30 %
1990
 
Monaco
-30 %
1990
 
Nouvelle Zélande
-10 à -20 %
1990
 
Norvège
-30/-40 %
1990
 
Russie
-15 à -25 %
1990
 
Suisse
-20 %/-30 %
1990
 
Ukraine
-20 %
1990
 
Union européenne
-20 % /-30 %
1990
 
Source : secrétariat de la CCNUCC et Commission européenne.
Plusieurs Etats parties à l’annexe I, dont l’Union européenne, ont fait des offres conditionnelles. Selon l’analyse réalisée par la Commission européenne en mars 2010(8), les objectifs communiqués se situent entre - 13 et - 18 % pour les pays de l’annexe I, ce qui est insuffisant pour atteindre l’objectif des 2°C, le GIEC ayant estimé l’effort de réduction des émissions nécessaire à -25 à -40 %.
Quarante trois pays n’appartenant pas à l’annexe I ont communiqué leurs actions d’atténuation nationales appropriées (NAMAs).
Les grands pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie, Mexique) ont déclaré être favorables à l’accord de Copenhague et communiqué des objectifs chiffrés. Cependant, il est difficile d’évaluer leurs engagements, exprimés en termes relatifs, le plus souvent par rapport à un scenario de référence d’évolution de leurs émissions (dit business as usual) ou par rapport au PIB, comme l’ont fait la Chine et l’Inde.
Objectifs de réduction des émissions des grands pays émergents
Pays
Objectif
Afrique du Sud
-34 % par rapport
à un scénario de référence
Brésil
-36,1 à -38,9 % par rapport
à un scénario de référence
Chine
-40 à -45 % de l’intensité carbone par rapport à 2005
Corée du Sud
-30 % par rapport à un scénario de référence
Inde
-20 à-2 5% de l’intensité carbone par rapport à 2005
Indonésie
-26 %
sans référence
Mexique
-30 % par rapport à un scénario de référence

Source : secrétariat de la CCNUCC.
Selon les estimations réalisées par le pôle recherche de CDC climat, en fonction de projections d’évolution des émissions et du PIB(9), les émissions des pays émergents, s’ils respectent leurs objectifs, dévieraient de leur tendance de 2,6 % d’ici 2020 dans un scénario haut jusqu’à 27,2 % dans un scénario bas.
Estimations des émissions des pays émergents résultant des engagements pris à Copenhague
Source : CDC Climat recherche.
Ces estimations, agrégées aux engagements des pays de l’annexe I, montrent un infléchissement de la trajectoire d’émissions entre 2005 et 2020, mais aucune stabilisation, même dans les hypothèses les plus optimistes.
III. L’UNION EUROPÉENNE : UNE POSITION PLUS PRUDENTE
A. Le respect des objectifs de Kyoto et la préparation de l’après-2012
1. Des réductions d’émissions plus fortes que prévues
L’Union européenne poursuit ses efforts en vue de respecter les objectifs auxquels elle a souscrit dans le cadre du protocole de Kyoto. L’objectif global de réduction des émissions de l’Union européenne à 15 est de - 8 % d’ici 2012, par rapport au niveau de 1990, et cet objectif est décliné par Etat membre.
Selon le rapport de progrès publié par la Commission européenne le 12 octobre 2010(10), les émissions de l’UE-15 avaient, en 2008, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, baissé de 6,9 % par rapport à 1990, alors que le PIB a connu pendant cette période une croissance de 45 %. Pour l’Union européenne à 27, les émissions ont été réduites de 14,3 %.
Les projections établies montrent que six Etats membres (France, Allemagne, Royaume-Uni, Finlande, Grèce et Suède) sont en voie d’atteindre leurs objectifs au plan interne. En prenant en compte les mécanismes de flexibilité du protocole, l’utilisation de la réserve des nouveaux entrants du marché européen de quotas et les puits de carbone, deux Etats seulement, l’Autriche et l’Italie, pourraient rencontrer des difficultés dans la réalisation des objectifs de Kyoto, sans compromettre le respect de l’objectif global de l’Union. Les nouveaux Etats membres devraient également atteindre leurs objectifs.
Les données provisoires pour 2009 montrent que les émissions ont reculé de 6,9 % par rapport à 2008 dans l’UE-15 et l’UE-27, soit de 12,9 % par rapport à l’année de référence pour l’UE-15 et de 17,3 % pour l’UE-27. Les objectifs de Kyoto sont dépassés mais, comme le souligne la Commission européenne, cette forte baisse des émissions est liée au contexte économique.
Au plan mondial, selon les estimations de l’organisation Global carbon project, les émissions devraient augmenter de 3 % en 2010. En 2009, les émissions liées à la combustion d’énergies fossiles n’ont baissé que de 1,3 % par rapport à 2008. Leur baisse dans les pays développés a été compensée par leur augmentation dans les pays émergents, la part de la Chine atteignant 24 %.
2. L’application du paquet énergie-climat
On peut rappeler que le paquet énergie-climat, adopté formellement en avril 2009, après son approbation par le conseil européen en décembre 2008, met en œuvre l’objectif des « trois fois vingt » d’ici 2020 :
- réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ;
- augmentation de 20 % de l’efficacité énergétique ;
- proportion de 20 % d’énergies renouvelables dans la production d’énergie.
Le paquet se compose de quatre textes :
- une directive révisant la directive no 2003/87/CE établissant un système communautaire d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SCEQE) afin d’étendre son champ d’application et de modifier les modalités d’allocation ;
- une décision sur le partage des efforts entre Etats membres, visant les secteurs non couverts par le SCEQE ;
- une directive sur les énergies renouvelables ;
- une directive sur le stockage géologique du dioxyde de carbone (CSC).
La directive sur le SCEQE prévoit qu’à partir du 1er janvier 2013, les quotas d’émission jusqu’alors alloués gratuitement aux principaux émetteurs industriels seront progressivement mis aux enchères(11). Pour le secteur de l’électricité, l’intégralité des quotas sera mise aux enchères dès 2013. L’aviation désormais incluse dans le marché européen, devra acquérir 15 % de ses quotas.
La mise en œuvre du paquet énergie-climat est en cours. Elle implique l’adoption d’une vingtaine d’actes d’ici 2013.
La directive SCEQE prévoyait l’adoption par la Commission européenne, selon la procédure de comitologie, d’un règlement concernant le calendrier, la gestion et les autres aspects de la mise aux enchères avant le 30 juin 2010.
Ce règlement a été adopté à l’unanimité par le comité du changement climatique, qui réunit des représentants des Etats membres et de la Commission européenne, le 14 juillet 2010, puis adopté définitivement par la Commission européenne le 12 novembre 2010((12). Le retard pris par rapport au calendrier du paquet énergie-climat s’explique par des désaccords entre Etats membres sur la plateforme d’enchères.
La Commission européenne s’était initialement prononcée en faveur d’une plateforme d’enchères européenne commune. Cela correspondait à la position de la France, qui avait suivi les recommandations d’un groupe d’experts présidé par M. Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances(13). Le rapport soulignait en effet qu’«  une plate-forme européenne unique présente les propriétés requises pour : maximiser l’efficacité allocative des enchères en Europe ; apporter toutes garanties aux entreprises sur l’unicité du signal-prix carbone ; minimiser les coûts (économies d’échelle) et les risques opérationnels pour les acteurs des adjudications ; contribuer à positionner l’Union européenne de manière visible et crédible, en prévision du marché mondial qui va se mettre en place ».
Quatre Etats membres, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et la Pologne, se sont opposés à la création d’une plateforme unique de mise aux enchères. Le règlement prévoit donc la possibilité de créer des plateformes nationales. Cependant, comme l’a souligné Mme Fabienne Keller, sénatrice, dans une communication présentée le 29 septembre 2010 à la commission des affaires européennes du Sénat, l’encadrement des plateformes nationales organisé par le règlement réduit les risques de distorsion de concurrence et de perturbation du marché européen du carbone. Il est probable que la plateforme européenne sera commune à vingt-quatre ou vingt-cinq Etats membres, seuls le Royaume-Uni et l’Allemagne étant certains de choisir d’avoir leur propre plateforme.
Le règlement prévoit également un système d’enchères à un tour, sous pli cacheté et à prix unique, la détermination annuelle du calendrier d’enchères et des volumes et la désignation d’une instance commune de surveillance des enchères.
Outre ce texte important, plusieurs autres actes ont été ont été récemment adoptés :
- sur le système européen d’échange de quotas d’émissions et les fuites de carbone(14) : la liste des secteurs exposés comprend 164 secteurs, ce qui correspond à 75 % de la totalité des secteurs industriels  ;
La Commission européenne doit publier en décembre 2010 une décision sur les modalités d’allocation gratuite des quotas (définition de benchmarks).
- sur la quantité de quotas à allouer(15) ;
- sur le captage et le stockage du carbone (CSC) et le SCEQE(16)  ;
La directive SCEQE prévoit également un mécanisme de financement destiné aux démonstrateurs de taille commerciale de captage et stockage du CO2 (CSC) et de démonstrateurs d’énergies renouvelables innovantes. Ce mécanisme de financement est doté de 300 millions de quotas d’émissions provenant de la réserve des nouveaux entrants du système d’échange communautaire, soit entre 4,5 et 9 milliards d’euros pour un cours du CO2 compris entre 15 et 30 euros par tonne. Le premier des deux appels à projet, doté de 200 millions de quotas, a été lancé cette année par la Commission européenne et la sélection des projets se fera fin 2011, pour une mise en service des démonstrateurs au plus tard fin 2015.
- sur l’inclusion de l’aviation dans le SCEQE(17).
Il faut noter à ce sujet que les discussions sur la participation de l’aviation civile à la lutte contre le changement climatique ont franchi une étape importante avec l’adoption par l’Assemblée de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) d’une résolution le 8 octobre 2010. Dans ce document non contraignant, les 190 Etats membres se sont engagés à une stabilisation des émissions en 2020, obtenue grâce à un gain de rendement des moteurs aériens de 2 % par an jusqu’en 2050. La déclaration fixe également l’échéance de 2013 pour la mise en place d’une norme sur les émissions de CO2 des moteurs d’avion. Elle définit aussi un cadre pour le développement des carburants de substitution pour le secteur. Enfin, la déclaration reconnaît que certains Etats peuvent se fixer des objectifs plus ambitieux, ce qui peut être interprété comme une validation de l’approche de l’Union européenne, qui a décidé d’inclure l’aviation internationale dans le SCEQE.
B. Une approche des « petits pas »
Après le bilan décevant de Copenhague, la Commission européenne a adopté le 9 mars 2010 une communication(18), qui propose des lignes directrices pour l’action future de l’Union européenne en matière de politique climatique. Il s’agit du premier document publié à l’initiative de la nouvelle commissaire à l’action pour le climat, Mme Connie Hedegaard, après la création de ce poste décidée par le Président de la Commission européenne lors du renouvellement intervenu en janvier 2010.
La communication réaffirme l’objectif premier de l’Union européenne : l’adoption d’un accord solide et juridiquement contraignant dans le cadre de la CCNUCC. Pour cela, la Commission estime qu’il faut d’abord viser un « ensemble équilibré de décisions concrètes » traduisant les orientations politiques de l’accord de Copenhague à Cancun puis un traité en Afrique du Sud fin 2011. Ce faisant, la Commission propose une approche moins ambitieuse et plus réaliste que celle de l’Union européenne avant Copenhague, avec des attentes plus circonscrites. Elle reconnaît que l’Union doit « repenser sa démarche » et « réfléchir à la meilleure façon d’accroître [son] efficacité et [son] influence dans les négociations internationales ».
A ce stade, la Commission ne propose pas de position sur l’instrument juridique du futur accord - nouvelle période d’engagement du protocole de Kyoto ou accord global – mais elle annonce qu’elle procédera à une évaluation des différentes formes juridiques. Elle met en avant les insuffisances du protocole de Kyoto, en rappelant qu’il ne couvre que 30 % des émissions mondiales et que certaines lacunes risquent de compromettre son intégrité environnementale :
- les quotas d’émissions excédentaires accumulés depuis le début des années 1990 du fait de la chute de la production industrielle dans les pays de l’ancien bloc soviétique ;
- les règles de comptabilisation des émissions provenant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie dans les pays développés.
On se souvient que l’absence de position claire de l’Union européenne sur l’avenir du protocole de Kyoto avait suscité lors de la Conférence de Copenhague de vifs reproches de la part des pays en développement qui l’accusaient de vouloir ainsi « tuer » le protocole et par là même les engagements futurs des pays développés. Cette situation avait eu pour conséquence regrettable d’occulter les efforts réels que l’Union s’était d’ores et déjà imposés à travers le paquet énergie-climat.
Depuis, l’Union a fait évoluer sa position, en se déclarant prête à accepter une deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto. La France était favorable à un tel engagement, susceptible d’envoyer un signal positif dans les négociations internationales et pour lequel l’Union européenne est prête, du fait de l’adoption du paquet énergie-climat. Les conclusions du Conseil environnement du 14 octobre 2010 et du conseil européen des 28 et 29 octobre 2010 posent certaines conditions : l’Union s’engagerait pour une deuxième période du protocole de Kyoto dans un cadre global, engageant toutes les grandes économies ; elle affirme sa préférence pour un accord juridiquement contraignant, sans en faire une condition de son engagement. Elle demande également un renforcement de l’intégrité environnementale du protocole.
Cependant, parmi les pays développés, l’Union européenne paraît isolée dans sa volonté de maintenir le cadre du protocole. Compte tenu de leur situation interne, il est désormais clair que les Etats-Unis ne pourront pas s’engager avant l’expiration de la première période d’engagement. Pour sa part, le Japon a exprimé lors de la session de négociations de Tianjin en octobre 2010 sa préférence pour un accord unique réunissant tous les grands émetteurs.
Concernant l’action future de l’Union, la communication insiste sur les efforts pour passer à une économie à faibles émissions de carbone, dans le contexte de sa stratégie « Europe 2020 ». Elle fait ainsi le lien entre la lutte contre le changement climatique, la sécurité énergétique et la création d’emplois. Sont cités l’efficacité énergétique, les véhicules verts, les réseaux intelligents, le captage et le stockage du carbone, les énergies renouvelables. Cette approche a le mérite de prendre en compte les enjeux technologiques et économiques indissociables des négociations sur le climat.
La Commission souligne l’importance de la mise en œuvre du financement Fast start, pour lequel la contribution de l’Union et de ses Etats membres a été fixée par le Conseil européen de décembre 2009 à 2,4 milliards d’euros. Elle précise également quelles pourraient être les sources du financement de long terme de 100 milliards de dollars par an (marché international du carbone, transport aérien et maritime, financement public international).
C. La poursuite du débat sur le passage à 30% et sur les fuites de carbone
Le 26 mai 2010, la Commission européenne a adopté une communication sur l’éventuel passage de l’objectif de réduction des émissions à 30 % et sur l’évaluation du risque de fuites de carbone(19). Elle estime que les conditions nécessaires pour porter dès maintenant l’objectif à 30 % ne sont pas réunies (elle fait en particulier référence à la crise économique) mais que cet objectif doit rester une option viable pour l’Union européenne.
Les coûts liés à la réalisation de l’objectif de 20 % ont diminué : alors qu’ils avaient été évalués à 70 milliards d’euros d’ici 2020 lors de l’élaboration du paquet énergie-climat, ils sont maintenant estimés à 48 milliards d’euros. Plusieurs facteurs sont cités : le ralentissement de la croissance qui rend l’objectif moins contraignant, la hausse des prix du pétrole qui favorise l’efficacité énergétique, la faiblesse du prix du carbone, en raison du report des quotas non utilisés pendant la récession. Passé de 25 euros la tonne à 8 euros début 2009, ce prix se situe actuellement entre 12 et 15 euros. Il est estimé à 16 euros la tonne en 2020, alors qu’en 2008, l’estimation était de 32 euros.
La communication analyse ensuite les différentes options qui permettraient d’atteindre un objectif de 30 % : adaptations sur le marché européen du carbone, modifications d’ordre technologique (nouvelles normes, réseaux intelligents), taxes sur le carbone, intégration dans les politiques de l’Union des objectifs de lutte contre le changement climatique, de façon à créer des incitations (politique de cohésion, politique agricole commune), évolution du mécanisme de développement propre (MDP).
La France soutient la création d’une taxation des émissions de carbone au niveau européen, dans le cadre d’une révision de la directive de 2003 sur la fiscalité des produits énergétiques. Cette taxation s’appliquerait aux secteurs non inclus dans le SCEQE.
Le coût total additionnel pour passer d’un objectif de 20 % à un objectif de 30 % est estimé à 33 milliards d’euros d’ici 2020, soit 0,2 % du PIB, et seulement à 11 milliards d’euros par rapport aux estimations du paquet énergie-climat. Pour permettre la réalisation de cet objectif, la Commission estime que le prix du carbone devrait être de 30 euros la tonne. Dans cette hypothèse, les émissions de l’Union européenne diminueraient de 25 % et les 5 % restants seraient obtenus au moyen de quotas excédentaires et de crédits internationaux (MDP).
La Commission précise que les coûts sont moins élevés du fait de la crise mais que les capacités d’investissement dans les technologies sobres en carbone sont également amoindries.
Alors que la Commission européenne, bien que prudente dans la communication, semble avoir une préférence pour un renforcement de l’objectif de l’Union, afin de faire preuve d’exemplarité dans les négociations internationales, les Etats membres ont des divergences sur cette question. Certains Etats sont traditionnellement favorables à un relèvement des ambitions (Royaume-Uni, Danemark, Suède, Pays-Bas) tandis que d’autres sont très réticents (Italie, pays d’Europe centrale et orientale). La France estime que l’option du passage à 30 % doit rester ouverte mais que l’Union européenne ne peut s’engager seule et que le risque économique et environnemental de fuites de carbone doit être pris en compte. Elle demande également que des réflexions soient menées sur les étapes intermédiaires entre 2020 et 2050.
Les conclusions du Conseil européen des 18 et 29 octobre 2010 indiquent que l’Union européenne évaluera à nouveau la situation après la conférence de Cancun et continuera à analyser les options possibles pour aller au-delà de l’objectif de 20 %. Cette question sera abordée au Conseil européen de mars 2011.
La communication précitée contient également une évaluation du risque de fuites de carbone, comme le prévoyait le paquet énergie-climat. Le risque de fuites de carbone est celui de délocalisation des activités industrielles à fortes émissions de gaz à effet de serre vers des pays dont les normes environnementales sont moins exigeantes. Les conséquences négatives en seraient une réduction de l’activité et de l’emploi, ainsi qu’un déplacement des émissions compromettant les objectifs de la politique climatique européenne.
La Commission estime que l’incidence sur la production de l’objectif de 20 % de réduction des émissions est de moins de 1 % et que si l’Union européenne passait à un objectif de 30 %, les conséquences sur la production des industries à forte intensité énergétique seraient limitées. Ces estimations se fondent sur l’hypothèse selon laquelle les pays tiers appliquent leurs objectifs les moins ambitieux.
Le paquet énergie-climat prévoit la possibilité de maintenir l’allocation gratuite des quotas pour les secteurs ou sous-secteurs exposés au risque de fuites de carbone. La liste de ces secteurs a fait l’objet d’une décision de la Commission européenne adoptée en décembre 2009. Compte tenu du résultat de la conférence de Copenhague et des incertitudes qui subsistent, la Commission estime justifiée l’allocation de quotas à titre gratuit.
Outre cette solution, la directive SCEQE prévoit deux options si les négociations internationales relatives au climat ne donnent pas de résultat satisfaisant :
- la conclusion d’accords sectoriels internationaux ;
- l’inclusion des importations des pays tiers dans le système européen d’échange de quotas d’émissions (mécanisme d’inclusion carbone ou taxe carbone aux frontières).
La communication évoque la possibilité d’accords sectoriels entre l’Union européenne et des pays tiers, par exemple avec la Chine sur l’acier. Ces accords inclueraient des dispositions sur les crédits issus des mécanismes de projet du protocole de Kyoto, afin de permettre un meilleur ciblage et de renforcer leur intégrité environnementale. Peu de progrès ont cependant été enregistrés dans le domaine des accords sectoriels, à l’exception du secteur du ciment.
L’initiative CSI (Cement sustainability initiative) : la préfiguration d’un accord sectoriel sur le ciment ?
L’intiative CSI du Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD) réunit 24 grands producteurs de ciment dans plus de 100 pays, représentant 30% de la production mondiale, afin de mettre en œuvre une approche sectorielle du développement durable, et notamment de la lutte contre le changement climatique. L’industrie du ciment est responsable de 5% des émissions de CO2 d’origine anthropique.
Dans le cadre de cette initiative, différentes actions sont mises en œuvre :
- un système de mesures des émissions, les entreprises s’étant fixé leurs propres objectfs de réduction ;
- l’identification des leviers d’action pour réduire les émissions : efficacité énergétique, énergies renouvelables, CSC ;
- la définition d’un modèle économique d’approche sectorielle, dans lequel les gouvernements et les industries coopéreraient pour mettre en œuvre des politiques, secteur par secteur, visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette approche serait fondée sur la mise en place de marchés du carbone dans les pays développés et l’adoption de cibles d’intensité dans les pays en développement.
La Commission reprend ses réserves traditionnelles concernant le mécanisme d’inclusion carbone (MIC) soutenu par la France, qui imposerait aux importateurs d’acheter des quotas sur le marché européen, correspondant au contenu en carbone des importations. Elle cite la nécessité d’une réflexion sur la compatibilité avec les règles de l’OMC, les difficultés techniques pour définir la teneur en carbone des importations, les conséquences sur la politique commerciale et le coût des importations. Lors de son audition par les rapporteurs, la commissaire Mme Connie Hedegaard a indiqué que compte tenu de ces réserves, il convenait selon elle de laisser le MIC « dans la boîte à outils ».
La France continue à soutenir la création du MIC, en soulignant que celui-ci serait complémentaire de l’allocation gratuite de quotas. La mise en œuvre d’un mécanisme d’inclusion carbone présenterait en effet des avantages, tant au plan économique, en ce qu’elle permetttrait d’assurer des conditions de concurrence équitables, qu’au plan environnemental car elle garantirait une réduction effective des émissions de CO2, en évitant que celles-ci ne se déplacent simplement vers des régions qui pratiquent un « dumping environnemental ».
IV. LA PERSISTANCE DU RISQUE DE BLOCAGE CHINE-ETATS-UNIS
Les négociations depuis Copenhague n’ont pas montré d’évolution dans la position des deux principaux émetteurs mondiaux, qui privilégient des actions au plan interne par rapport à un engagement international.
La session de négociations qui s’est tenue à Tianjin du 4 au 9 octobre 2010 a souligné la persistance d’un risque de blocage. La Chine insiste toujours sur les responsabilités historiques des pays développés et sur son appartenance aux pays en développement. Elle exprime ses doutes sur la sincérité de l’engagement des pays développés à mettre en œuvre le financement Fast start. Les Etats-Unis soulignent à l’inverse la nécessité d’abolir les différences entre les pays de l’annexe I et les pays hors annexe I. Les deux pays se renvoient déjà la responsabilité en cas d’échec de la conférence de Cancun.
1. Les Etats-Unis : une situation interne défavorable à l’adoption d’un accord international sur le climat
En juin 2009, la Chambre des réprésentants avait adopté un projet de loi American Clean Energy and Security Act, dit Waxman-Markey, fixant l’objectif de 17 % de réduction des émissions d’ici 2020 (en référence à 2005) et créant un marché fédéral du carbone. Au Sénat, après plusieurs reports de l’examen d’un projet de loi sur l’énergie et le changement climatique (proposition Kerry-Boxer, puis proposition Kerry-Lieberman publiée en mai 2010), le constat d’un blocage a été fait au mois de juillet 2010, l’opposition républicaine de l’époque étant susceptible de bloquer la discussion avec 41 voix sur 100.
Le fait que les républicains aient obtenu la majorité à la Chambre des représentants et renforcé leur position au Sénat lors des élections de mi-mandat rend d’autant plus improbable l’adoption d’une législation sur le climat d’ici fin 2012, date d’expiration de la première période d’engagement du protocole de Kyoto. Dans ces conditions, les Etats-Unis ne s’engageront pas dans un traité sur le changement climatique pour l’après-2012.
En l’absence d’une législation spécifique, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) intervient par la voie réglementaire pour limiter les émissions. Elle fonde son action sur un arrêt de la Cour Suprême de 2007(20), selon lequel les gaz à effet de serre sont des polluants relevant de la législation sur la pollution atmosphérique, le Clean Air Act. En avril 2009, l’EPA a adopté des conclusions reconnaissant que les gaz à effet de serre sont des polluants atmosphériques dangereux pour la santé publique et le bien-être. Cette décision a conduit l’Agence à intervenir pour limiter les émissions dans deux domaines. En avril 2010, l’EPA a publié un règlement sur le contrôle des émissions des véhicules individuels et des véhicules utilitaires légers, qui prendra effet en janvier 2011 pour les nouveaux véhicules mis sur le marché. Elle a d’autre part adopté en mai 2010 un règlement sur les émissions des sources stationnaires dans le cadre du programme de permis du Clean Air Act. Il concerne les installations industrielles responsables de 70 % des émissions, notamment les usines électriques, les raffineries et les usines de ciment. L’EPA prévoit une mise en œuvre progressive à partir de janvier 2011. Les installations industrielles concernées devront acquérir des permis pour leurs émissions de gaz à effet de serre, en fonction des seuils définis par l’Agence. Elle examinera en 2015 s’il convient d’étendre le système des permis aux plus petits émetteurs.
2. La Chine refuse toujours toute contrainte internationale
Si elle refuse toujours toute notion de contrainte internationale, la Chine agit au plan interne mais peu d’informations sont disponibles sur ses initiatives. La presse chinoise a très récemment fait état de projets gouvernementaux tendant à créer un marché du carbone lors du plan quinquennal 2011-2015. La Chine poursuit ses investissements massifs dans les énergies renouvelables : elle occupe le premier rang mondial pour l’installation de parcs éoliens et produit avec Taiwan la majorité des panneaux photovoltaïques dans le monde.
Les enjeux économiques mondiaux de la lutte contre le changement climatique sont de plus en plus visibles et pourraient déclencher un affrontement commercial. L’annonce récente par les Etats-Unis de l’ouverture d’une enquête, au titre de la section 301 de la loi sur le commerce, sur les subventions chinoises au secteur des énergies renouvelables(21), qui pourrait déboucher sur une plainte à l’OMC, en est une illustration patente. Il est aujourd’hui évident que la Chine et les Etats-Unis se sont lancés dans une véritable course technologique pour les énergies du futur et que les technologies énergétiques d’avenir sont devenues un élément-clé de la compétition mondiale.
 

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