Les adolescents mangent t’ils correctement

3/07/2013 à 06h30, Auteur : rédac-rss // Beauté-santé

Que mangent les adolescents, et comment ? Que représente pour eux le repas en famille ? Alim’Ados, une enquête (1) de terrain de trois ans, apporte des éléments de réponse. L’occasion de dépasser les stéréotypes et de porter un nouveau regard sur ces jeunes mangeurs-acteurs aux goûts 

et comportements à la fois affirmés et complexes.

 

Tout d’abord, la “malbouffe”. Certes, les sodas, chips, pizzas, glaces et hamburgers font partie de leurs aliments de prédilection. De là à en déduire “qu’ils ne mangent que ça”… 

Car si les garçons se montrent grands amateurs de paninis et autres kebabs, les filles recherchent des aliments moins gras : salades toutes prêtes ou fruits à la supérette la plus proche. La ligne ou le plaisir ? Le choix n’est pas toujours simple. « Gardons-nous de “pathologiser” ce groupe d’âge et de faire de tous les jeunes des sujets à risques, que les périls s’appellent surpoids, uniformisation des comportements alimentaires, rejet des traditions ou faillite de la transmission » explique Nicoletta Diasio, anthropologue et maître de conférence à l’université de Strasbourg. « Il faut comprendre que les adolescents revendiquent un droit au plaisir alimentaire, en réaction aux messages négatifs sur leur alimentation et à tous les messages de restriction. Contrairement à ce que l’on pense, ils sont très informés sur le plan nutritionnel, mais aussi saturés de ces messages injonctifs. 

 

Autre découverte : les “jeunes” adorent la cuisine familiale ! Éloge de la cuisine des grand-mères, attachement aux plats traditionnels, nourriture festive ou plats liés à leur culture d’origine. Et même s’ils ont quitté la maison, la perspective d’un “bon repas” préparé par maman fait toujours recette !

 

Continuons : pour les adolescents, tout est affaire de style et d’apparence. « L’aspect prime sur le goût », résume Véronique Pardo, coordonnatrice du programme de recherche. Autant dire que le flasque, le bouilli et le gélatineux n’ont pas la cote. Endives cuites, choux-fleurs, tripes et œufs en gelée sont unanimement rejetés. Les aliments de couleurs jugées agréables, fermes, croustillants ont plus de chance. Quant au gras visible, ou au poisson entier avec la tête, inutile d’en parler !

 

Les termes d’obésité et d’anorexie ne semblent pas correspondre à une réalité quotidienne. « Les jeunes sont pris dans une contradiction entre surveiller leur alimentation et se faire plaisir en transgressant les recommandations », poursuit Nicoletta Diasio.

 

Enfin, les raisons du succès de la street food, l’alimentation de la rue ? Un sentiment de liberté à manger hors cadre scolaire ou familial. « En s’appropriant l’espace public, ils font l’expérience de l’autonomie dans le choix des aliments et dans la gestion du temps », commente Meriem Guetat, sociologue à l’université de Strasbourg. Et ce qui importe, c’est autant ce qu’on mange que de manger ensemble ! Alors, alimentations adolescentes plurielles ? 

Visiblement, oui.

 

 

Être soi dans sa famille

Au premier rang de ces influences : la famille. L’alimentation est un élément de continuité, de transmission, qui met à jour les rapports que l’adolescent entretient avec sa famille. Pour la sociologue Nicoletta Diasio, «  ces rapports se manifestent par une sensualité partagée et par des souvenirs affectifs autour de l’alimentation. Par exemple, la cuisine familiale des grands-parents est souvent mise en avant, comme pour la traditionnelle confection des biscuits de Noël. » On peut s’inscrire dans l’histoire familiale par le refus, telle l’adolescente qui s’abstient soudain de manger de la viande chez des carnivores convaincus.

 

Manger avec ses pairs

À l’adolescence, les habitudes alimentaires se transforment, les situations d’alimentation se diversifient. Dans la rue, à la cantine, dans un café... Les aliments nomades sont importants : on mange souvent en faisant autre chose, en parlant ou en marchant. La présence et le regard des pairs sont primordiaux. L’anthropologue Claude Fischler le rappelle : «  Dans toutes les cultures, partager la nourriture, c’est partager plus que de la nourriture. Le comportement alimentaire des adolescents est hautement social. » Un regard parfois sans pitié. Ce sont ces adolescents qui mangent seuls à une table de la cantine, en trois fois moins de temps que les autres, ou celle qui avoue rentrer parfois déjeuner à la maison, fatiguée d’être constamment sous le regard de ses camarades. Fischler rappelle aussi la «  lipophobie » des adolescents et la stigmatisation des jeunes en surpoids.

 

Rattraper un corps qui échappe

Cette puberté « qui fait grossir », ce « corps qui change » les préoccupent. Ils cherchent à le contrôler, à le « stabiliser avec l’alimentation ». Très tôt, des attitudes de restriction et de surveillance sont adoptées. Selon Nicoletta Diasio, « ils peuvent alterner des passages de laisser-aller avec des phases de purification, où ils vont par exemple boire beaucoup d’eau ou surconsommer certains aliments portant un fort imaginaire santé pour eux, comme les yaourts. » L’idéal féminin est d’être « mince avec des formes », l’idéal masculin d’être ni gros ni « spaghetti » sans muscle. Marie Marquis rappelle que certains jeunes peuvent adopter des comportements à risque : repas oubliés (40 % des jeunes Québécois interrogés ne prennent ni aliment ni boisson le matin) , régimes trop peu caloriques, entraînement sportif intensif...Tout aussi préoccupant, la surconsommation de boissons sucrés et acides, et, pour certains jeunes, d’alcool. Un situation qui fait réclamer à Marie Marquis une simplification des messages à l’attention des jeunes, noyés dans une « cacophonie alimentaire ».

 

(1) Alim’Ados est un programme de recherche de l’OCHA réalisé avec deux laboratoires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). 

 

L’OCHA est l’Observatoire des habitudes alimentaires du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL).« Rupture, transformation identitaire... » les expressions utilisées pour parler de l’adolescence peuvent sembler sombres et inquiétantes. Mais Marie Marquis, professeure à l’université de Montréal, rappelle que c’est aussi « un état enviable, où l’on n’est ni grand, ni petit, mais jeune, et qu’on n’est pas pressé de quitter ! » Un moment de construction personnelle...où l’on construit aussi son alimentation. En faisant ses propres choix dans les modèles qui l’entourent, l’adolescent devient progressivement «  un mangeur libre ».

 

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